Sur la négociation d'une nouvelle convention
d'une chaîne de télévision et la possibilité
pour le CSA de s'opposer à la diffusion de programmes susceptibles
de nuire aux mineurs
Lors de la négociation des termes d'une nouvelle convention permettant la reconduction de l'autorisation du service Canal Antilles, le CSA, après avoir statué favorablement sur la possibilité d'une telle reconduction et mentionné les points principaux de la convention dont il souhaitait obtenir la révision, avait décidé de subordonner sa signature à l'introduction d'une clause interdisant totalement la diffusion des programmes de catégorie V, définis comme « les œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de dix-huit ans ainsi que les programmes réservés à un public averti et qui, en particulier par leur caractère obscène, sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de dix-huit ans ».
Après avoir vu rejeté
son recours gracieux, la société Canal Antilles s'est
résignée à signer une convention conforme aux
vœux du CSA puis a emprunté la voie contentieuse à
deux reprises. D'abord sans succès puisque, par une décision
du 19 mars 2003 (CE 19 mars 2003 Société
Canal Antilles , Rec. p. 137) le Conseil d'État a rejeté
la requête de la société Canal Antilles demandant
l'annulation de la décision par laquelle le Conseil supérieur
de l'audiovisuel avait approuvé le projet de convention.
La haute assemblée a considéré que cette délibération
constituait un acte préparatoire ne pouvant faire l'objet
d'un recours pour excès de pouvoir.
Tirant les conséquences de cette décision juridictionnelle, la société Canal Antilles a ensuite demandé au Conseil d'État d'annuler la clause de la nouvelle convention interdisant la diffusion de programmes de catégorie V, ainsi que la décision reconduisant son autorisation à laquelle est annexée la convention. Par une décision du 5 juillet 2004, le Conseil d'État a fait droit à la demande de la société Canal Antilles en particulier sur le terrain de la procédure. La Haute Assemblée a en effet relevé que la décision par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a statué favorablement sur la possibilité de reconduction de l'autorisation ne mentionnait pas la stipulation autorisant, sous certaines conditions, la diffusion par la société Canal Antilles de programmes de catégorie V parmi les points principaux de la convention en vigueur que l'instance de régulation souhaitait modifier.
Le Conseil d'État a ensuite considéré que la société Canal Antilles n'a eu connaissance du souhait du Conseil supérieur de l'audiovisuel de supprimer cette stipulation que dix-huit jours seulement avant l'expiration du délai de six mois imparti pour conclure une nouvelle convention. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne peut donc pas, au cours de la négociation d'une nouvelle convention, imposer aussi tardivement une modification importante de l'économie de la convention qui ne figurait pas dans la liste des clauses à renégocier, sauf à priver l'opérateur d'une garantie légale de négociation.
Le Conseil d'État a d'abord considéré que, si les stipulations et dispositions imposées par le CSA instituent une interdiction absolue de diffusion, par tout service de radio et de télévision, de programmes susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental et moral des mineurs, ces stipulations et dispositions imposent seulement, pour les programmes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental et moral des mineurs, que leur diffusion soit, par le choix de l'heure d'émission ou par des procédés techniques appropriés, assurée dans des conditions telles que les mineurs ne soient pas normalement susceptibles d'avoir accès à ces programmes.
La Haute Assemblée a ensuite relevé que, pour la mise en œuvre des dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA a élaboré un dispositif reposant sur une classification des programmes en cinq catégories et qu'aux termes de cette classification, la catégorie V comprend les œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de dix-huit ans ainsi que les programmes réservés à un public adulte averti et qui, en particulier par leur caractère obscène, sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de dix-huit ans.
En conséquence, le Conseil d'État a considéré que, dès lors que la catégorie V comprend des programmes relevant de cette dernière qualification, l'autorité de régulation, qui disposait d'un pouvoir d'appréciation pour définir le régime qui pouvait leur être appliqué, ne peut soutenir qu'elle se trouvait en situation de compétence liée pour imposer à la société Canal Antilles une interdiction totale de la diffusion des programmes de cette catégorie.
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Le contentieux des sanctions |
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L'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée dispose que la délivrance des autorisations d'usage de fréquences pour chaque nouveau service diffusé par voie hertzienne terrestre est subordonnée à la conclusion d'une convention qui fixe les règles particulières applicables au service et définit notamment les pénalités contractuelles dont dispose le CSA pour assurer le respect des obligations conventionnelles. Ces pénalités sont identiques aux sanctions légales, à l'exception du retrait de l'autorisation qui ne peut résulter que d'un manquement à une obligation légale ou réglementaire, et leur prononcé obéit à la même procédure.
En 2004, le Conseil d'État a confirmé la légalité d'une décision réduisant de deux mois la durée d'une autorisation accordée à un service de radio ne respectant pas ses obligations conventionnelles de programmes. L'affaire a concerné un service local de radio qui s'était engagé, aux termes d'une convention conclue en juin 1999, à diffuser un programme visant à la découverte du monde afro-caribéen, sud-américain et de l'océan Indien par l'intermédiaire de musiques, magazines d'information et d'émissions culturelles. Toutefois, l'écoute des programmes du service opérée en juin 2001 a révélé la diffusion d'un programme non conforme à la convention. Le CSA a décidé de mettre le titulaire de l'autorisation en demeure de respecter ses obligations.
Six nouvelles écoutes réalisées entre octobre 2001 et février 2002 ont néanmoins confirmé que la station méconnaissait toujours ses obligations. Le CSA a décidé de sanctionner ce manquement par le prononcé d'une mesure de suspension de l'autorisation pendant une durée de vingt-quatre heures. En dépit de cette sanction, huit nouvelles écoutes effectuées entre mai 2002 et janvier 2003 ont permis de constater la persistance du manquement. Le CSA a, en conséquence, décidé de réduire de deux mois la durée de l'autorisation.
Par une décision
du 24 novembre 2004 (CE 24 novembre 2004 Association
Radio Sun FM, Req. n° 258 076), le Conseil d'État
a confirmé la sanction en considérant notamment que
les faits de l'espèce étaient de nature à justifier
une sanction et, qu'eu égard à la gravité des
manquements reprochés et à leur répétition,
la sanction infligée ne présentait pas un caractère
excessif.
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Le contentieux du conventionnement
des chaînes du câble et du satellite |
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Aux termes des dispositions des articles 33-1 et 43-4 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, les chaînes de télévision diffusées par satellite ou distribuées sur les réseaux câblés qui sont établies en dehors de l'Union européenne, mais qui utilisent une capacité satellitaire relevant de la compétence de la France, doivent conclure une convention avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Toutefois, plus d'une centaine de chaînes diffusées par l'intermédiaire de la société Eutelsat ne sont pas signataires d'une convention avec l'instance de régulation française.
Au cours de l'année 2002, le CSA avait été saisi par la société Médya TV d'une demande de conventionnement pour la diffusion d'une chaîne de télévision à destination de la communauté kurde installée en Europe. En l'absence de réponse expresse à sa demande, la société Médya TV a saisi le Conseil d'État d'une demande d'annulation de la décision implicite de rejet née du silence du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Par une décision
du 11 février 2004 (CE 11 février 2004
Société Médya TV, Req. n° 249 175,
à publier au Recueil), le Conseil d'État a rejeté
la requête en considérant que l'instance de régulation
n'était pas tenue d'accepter toutes les demandes de conventionnement
des chaînes et qu'il pouvait refuser de signer une convention.
En ce qui concerne la base légale du refus de conventionnement,
le Conseil d'État a considéré que les dispositions
de l'article 33-1 de la loi donnent au CSA compétence pour
refuser de conclure une convention et que pour prendre une telle
décision, le CSA peut se fonder sur la sauvegarde de l'ordre
public qui, en vertu de l'article 1er de la loi, peut limiter, dans
la mesure requise, l'exercice de la liberté de communication
mais qu'il incombe alors au CSA de concilier l'exercice de ses pouvoirs
avec le respect de cette liberté, sous le contrôle
du juge.
S'agissant des motifs du refus que le CSA a présentés en défense compte tenu du caractère implicite de la décision, le Conseil d'État a considéré que les éléments précis versés au dossier par le CSA, dont la réalité n'avait pas été démentie par les précisions et les informations fournies par la société Médya TV, démontraient l'existence d'un faisceau concordant d'indices de l'existence de liens étroits entre cette société et le PKK, organisation politique dont l'émanation intitulée Comité du Kurdistan a été dissoute en France par un décret du 2 décembre 1993 et qui a été inscrite, le 2 mai 2002, sur la liste des organisations terroristes établie par l'Union européenne. La Haute Assemblée a également relevé que les pièces du dossier faisaient ressortir que la demande de conventionnement adressée au CSA par la société Médya TV avait été présentée quelques mois après que la licence de la chaîne Med TV, diffusée au Royaume-Uni, et également liée au PKK, eut été retirée par l'organe de régulation britannique à la suite de nombreuses infractions à la législation britannique et notamment d'encouragements à la violence et d'incitations au crime.
Le Conseil d'État a enfin estimé que si le PKK s'était volontairement dissous en 2002 et avait été remplacé par un autre parti politique qui ne prône plus le recours à la lutte armée, le CSA ne s'était pas livré, en l'état des éléments dont il disposait, à une appréciation erronée des circonstances en estimant que les risques pour l'ordre public susceptibles d'être créés, tant en France que dans plusieurs pays européens, par la diffusion du programme de télévision proposé par la société Médya TV, étaient d'une gravité suffisante pour justifier le rejet de la demande de conventionnement présentée par la société.
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Le contentieux relatif au pouvoir de recommandation |
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Aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille notamment à la qualité des programmes et peut adresser aux éditeurs et distributeurs de radio et de télévision des recommandations relatives au respect des principes énoncés par la loi précitée.
Après avoir constaté que, depuis le printemps 2001, les émissions comportant des incitations à appeler des services téléphoniques surtaxés ou des services télématiques se sont fortement développées à l'antenne des chaînes hertziennes nationales publiques et privées, notamment en vue de participer à des jeux, d'exprimer un vote ou un témoignage ou de faire acte de candidature (Qui veut gagner des millions ?, Élection de Miss France, Loft Story, Star Academy, etc.), le CSA a adopté le 5 mars 2002 une recommandation qui rappelle à l'ensemble des services de télévision les principes auxquels ils sont soumis et en particulier précise les conditions pour que ces incitations, faites en dehors des écrans publicitaires, ne soient pas considérées comme relevant de la publicité clandestine prohibée par les dispositions de l'article 9 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992.
Ce faisant, le Conseil a rappelé aux chaînes que ces incitations doivent s'inscrire dans le prolongement direct d'un programme en cours de diffusion, que les téléspectateurs doivent être informés du coût des communications par un affichage identique à celui des coordonnées téléphoniques ou télématiques, ainsi que des possibilités de remboursement des sommes exposés dans le cadre des jeux de hasard, et qu'il doit être offert aux téléspectateurs la possibilité de se manifester par des voies moins onéreuses que les services en cause.
La société
TF1 a formé un recours gracieux puis contentieux contre cette
recommandation. Par une décision du 9 février 2004
(CE 9 février 2004 Société
Télévision française 1, Req. n° 205
258), le Conseil d'État l'a rejeté en considérant
« qu'il entrait dans les missions [du CSA], en application
des dispositions précitées de la loi du 30 septembre
1986 modifiée [les articles 1er et 42] de rappeler les règles
auxquelles les opérateurs sont tenus, non seulement en matière
de prohibition de la publicité clandestine, mais également
en ce qui concerne l'information du public et la législation
instaurant une prohibition des jeux de hasard impliquant une mise
de fonds de la part des participants ».
En l'espèce, le Conseil d'État a estimé que l'obligation d'un lien avec le programme en cours ne constituait pas une interprétation erronée des dispositions de l'article 9 du décret du 27 mars 1992 prohibant la publicité clandestine, que l'obligation d'informer les téléspectateurs sur les coûts des communications dans des caractères identiques à ceux des coordonnées téléphoniques ou télématiques ne constituait pas une interprétation erronée de l'article 14 de l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information de consommateurs sur les prix, et que l'obligation de les informer sur les possibilités de remboursement des dépenses engagées dans le cadre de jeux de hasard ne constituait pas une interprétation erronée de la loi du 21 mai 1836 relative aux loteries.
Cette décision marque une avancée notable sur les questions de la compétence de l'instance de régulation et de la mise en œuvre de son pouvoir de recommandation. En effet, cette décision reconnaît le caractère impératif des recommandations et la possibilité de prononcer des sanctions à l'égard de ceux qui manqueraient aux obligations qu'elles contiennent. Au final, cette décision confirme la compétence du CSA pour faire respecter toutes les obligations relatives aux programmes diffusés par les services de radio et de télévision y compris celles résultant des dispositions étrangères à celles contenues dans la loi du 30 septembre 1986 modifiée et ses décrets d'application.
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L'application du dispositif anticoncentration
à la télévision numérique terrestre |
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Par délibération du 10 juin 2003, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a, au terme de la procédure d'appel aux candidatures lancée le 24 juillet 2001, délivré vingt-trois autorisations pour l'exploitation de services nationaux de télévision diffusés en mode numérique. La société TF1 a demandé au Conseil d'État d'annuler les autorisations délivrées aux services Canal+, iMCM, Canal J, Sport+, I-télé, Ciné Cinéma Premier et Planète.
À l'appui de ses requêtes, elle soutenait que le CSA avait inexactement apprécié le contrôle exercé sur les sociétés Canal J et MCM dès lors que la société Lagardère Thématiques, qui les contrôle, était indirectement contrôlée conjointement par les groupes Canal+ et Lagardère, plaçant le groupe Canal+ en situation de détenir un nombre maximum d'autorisations supérieur au plafond légal de cinq autorisations de télévision en mode numérique délivrées à un même groupe.
Par une décision
du 20 octobre 2004 (CE 20 octobre 2004 Société
TF1, Req. n° 260898, à publier au Recueil), le
Conseil d'État a annulé six des sept autorisations
attaquées au terme d'une analyse le conduisant à déterminer
les modalités de contrôle de la société
Lagardère Thématiques par les groupes Lagardère
et Canal+ pour conclure que le contrôle conjoint des sociétés
Canal J et MCM par le groupe Canal+ aboutissait à lui faire
détenir, directement ou indirectement, seul ou conjointement,
sept autorisations.
Le Conseil d'État a d'abord rappelé que les dispositions du 3e alinéa de l'article 41 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction en vigueur à la date des autorisations attaquées, limitaient à cinq le nombre maximal d'autorisations, relatives chacune à un service ou programme national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique, dont une même personne peut être titulaire directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés qu'elle contrôle.
La Haute Assemblée a ensuite estimé que l'existence du contrôle indirect de plusieurs personnes par une autre devait être déterminée, en dehors du cas particulier où elle a placé ces sociétés sous son autorité ou sa dépendance, au regard des critères de l'article L. 233-3 du Code de commerce, codifiant les dispositions de l'article 355-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 dans leur rédaction modifiée par les lois du 15 mai 2001 et du 11 décembre 2001, qui dispose notamment, d'une part, qu'une société en contrôle une autre lorsqu'elle dispose de la majorité des droits de vote, d'autre part, que le contrôle conjoint défini par le III dudit article L. 233-3 est caractérisé lorsque deux ou plusieurs personnes déterminent en commun les décisions des assemblées générales d'une société, dans le cadre d'un accord relatif à l'exercice de leurs droits de vote et tendant à la mise en oeuvre d'une politique commune à l'égard de cette société et qu'il en va de même lorsque l'une d'entre elles dispose de droits de vote qui en l'absence d'un tel accord lui auraient permis de déterminer seule lesdites décisions.
À la lumière de ces principes, le Conseil d'État a analysé les liens qui unissent les sociétés Canal+ et Largadère Images et déterminé les modalités de contrôle, par l'intermédiaire de la société Lagardère Thématiques, des sociétés Canal J et MCM.
Il a, en premier lieu, relevé que, si le groupe Canal+ détenait, outre les autorisations des services Canal+, Sport +, I-Télé, Ciné Cinéma et Planète, 49 % du capital de la société Lagardère Thématiques, qui contrôle elle-même les sociétés Canal J et MCM, aux côtés du groupe Lagardère, par l'intermédiaire de la société Lagardère Images qui détient les 51% restant du capital, les sociétés groupe Canal+ et Lagardère Images sont cependant liées par une convention d'actionnaires en date du 28 juillet 2000 qui, à défaut d'avoir été communiquée au Conseil supérieur de l'audiovisuel lors de l'instruction des candidatures, a été versée aux débats, à la demande du Conseil d'État, dans le cadre de l'instruction de l'affaire.
En deuxième lieu, la Haute Assemblée a considéré que les stipulations de cette convention avaient pour objet et pour effet de subordonner la définition de la stratégie de la société Lagardère Thématiques à un accord entre ses deux actionnaires qui, dans les circonstances habituelles de direction d'une société, doivent dès lors être regardés comme déterminant en commun, dans le cadre d'un accord relatif à leurs droits de vote, les décisions de ses assemblées générales et comme exerçant ainsi un contrôle conjoint, au sens du III de l'article L. 233-3 du Code de commerce, sur cette société et, par l'intermédiaire de celle-ci, sur les sociétés Canal J et MCM, dont elle détient l'intégralité du capital.
En conséquence, le Conseil d'État a considéré, en troisième lieu, que, pour l'application de l'article 41 de la loi du 30 septembre 1986, le groupe Canal+ était cotitulaire, avec le groupe Lagardère, des autorisations données par le CSA aux sociétés MCM et Canal J et ainsi détenteur, compte tenu des cinq autres autorisations accordées, de sept autorisations de diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique en violation des dispositions de l'article 41 de la loi du 30 septembre 1986 qui fixaient à cinq le nombre maximal d'autorisations pour une même personne.
La Haute Assemblée a donc estimé que la violation de ces dispositions entachait d'illégalité l'ensemble des autorisations accordées aux services relevant du contrôle direct ou indirect de la société Canal+ à l'exception de l'autorisation qui lui a été accordée, en vertu de l'article 30-III de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, pour la reprise de son service de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique qui est assimilée à l'autorisation initiale et n'en constitue qu'une extension.
Compte tenu des difficultés sérieuses d'exécution de la décision rendue par le Conseil d'État le 20 octobre 2004, le CSA a souhaité, sur le fondement des dispositions de l'article R. 931-1 du Code de justice administrative, être éclairé par l'avis de la Section du rapport et des études du Conseil d'État et a saisi le vice-président du Conseil d'État d'une demande en ce sens.
En effet, l'annulation a été prononcée pour un motif - le dépassement d'un seuil anticoncentration - qui n'a pas remis en cause l'appréciation portée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel sur les candidatures retenues au terme du processus de mise en concurrence alors que la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle a porté de cinq à sept le nombre maximum d'autorisations pouvant être détenues par une même personne.
En réponse à la demande d'avis, le président de la Section du rapport et des études du Conseil d'État a informé le Conseil supérieur de l'audiovisuel que l'attribution des nouvelles autorisations d'utiliser la ressource hertzienne devenue disponible par l'effet de l'annulation juridictionnelles des autorisations impliquait nécessairement, pour le CSA, d'organiser un nouvel appel à candidatures ouvert à tous les candidats intéressés.
Après avoir procédé à une consultation publique, conformément aux dispositions de l'article 31 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, le Conseil a lancé le 14 décembre 2004 un nouvel appel aux candidatures pour l'attribution de la ressource disponible.
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Le contentieux des chaînes satellitaires non conventionnées |
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La loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 précitée a accru les pouvoirs du Conseil supérieur de l'audiovisuel à l'égard des chaînes de télévisions extra-communautaires diffusées sur des fréquences satellitaires relevant de la compétence de la France, notamment à l'égard de celles qui n'ont pas signé une convention avec l'instance de régulation en violation de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée.
D'une part, le nouvel article 19 de ladite loi autorise le CSA à demander aux opérateurs de réseaux satellitaires « toutes informations nécessaires à l'identification des éditeurs de services de télévision transportés ». D'autre part, le nouvel article 42-10 étend la procédure dite du référé-audiovisuel - qui permet au président du CSA de saisir le président de la Section du contentieux du Conseil d'État d'une demande tendant à ce qu'il soit ordonné à l'auteur d'un manquement aux obligations résultant de la loi du 30 septembre 1986 modifiée de s'y conformer - afin de faire cesser la diffusion, par un opérateur satellitaire, d'un service de télévision relevant de la compétence de la France dont les programmes portent atteinte à l'un au moins des principes mentionnés aux articles 1er, 3-1 ou 15 de ladite loi, lesquels incluent notamment l'ordre public, le protection de l'enfance et de l'adolescence et l'interdiction de toute incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité.
Après avoir saisi en vain le procureur de la République le 13 janvier 2004, le CSA a mis en œuvre dès le 12 juillet 2004 la nouvelle possibilité offerte par l'article 42-10 de la loi en demandant au président de la Section du contentieux du Conseil d'État d'enjoindre, sous astreinte, à la société Eutelsat de faire cesser la diffusion du service Al Manar qui ne disposait pas de convention et qui avait diffusé des programmes incitant à la haine raciale ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité.
Par une ordonnance du
20 août 2004 (CE Ord. 20 août 2004
Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel,
Req. n° 269813, à publier au Recueil) (cf.
annexe),
le juge des référés s'est employé à
articuler la demande d'interdiction formulée par le Conseil
supérieur de l'audiovisuel et la volonté affichée
par la chaîne de se soumettre à la procédure
de conventionnement avec le CSA prévue par la loi précitée,
la société éditrice ayant sollicité
de l'instance de régulation, la veille de l'audience publique,
la signature d'une convention. Tout en fixant une échéance
(le 30 novembre 2004) au-delà de laquelle la société
Eutelsat était tenue de faire cesser la diffusion d'Al Manar,
le juge des référés a permis à la chaîne
de présenter au CSA, avant le 1er octobre 2004, un dossier
complet de demande de conventionnement et prévu que, dans
le cas d'un rejet par le CSA de la demande de conventionnement présentée
par Al Manar, Eutelsat devait faire cesser la diffusion sur ses
satellites de la chaîne de télévision incriminée
dans un délai de deux mois suivant la notification du rejet.
À cette occasion, le juge des référés a également précisé que les dispositions de l'article 42-10 en cause tendent non pas à l'infliction d'une sanction, mais à la prévention de la survenance ou de la réitération d'une atteinte aux principes essentiels que doit respecter un service de communication audiovisuelle. En conséquence, il a considéré que le principe constitutionnel de non-rétroactivité des dispositions répressives ne fait pas obstacle à l'application immédiate de ces dispositions y compris par référence à des programmes diffusés avant l'intervention de la loi du 9 juillet 2004.
Se conformant à l'ordonnance, Al Manar a présenté le 21 septembre 2004 au CSA une demande de conventionnement et s'est notamment engagée à ne pas diffuser de programmes susceptibles d'inciter à la violence ou à la haine pour des raisons de religion ou de nationalité. Au terme de l'instruction de cette demande, le CSA a décidé le 19 novembre 2004 de signer une convention, permettant la diffusion de la chaîne Al Manar en Europe, conclue pour une durée d'une année et assortie d'obligations propres à garantir l'interdiction de diffuser notamment des programmes susceptibles d'entraîner des troubles à l'ordre public ou d'encourager des attitudes de rejet ou de xénophobie.
Toutefois, le CSA a constaté, le 23 novembre 2004, plusieurs manquements graves de la chaîne aux dispositions de l'article 15 de la loi précitée qui prohibent la diffusion de tout programme contenant une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a décidé de mettre la société éditrice de la chaîne Al Manar en demeure de se conformer à ses obligations et le président du CSA a demandé au président de la Section du contentieux du Conseil d'État d'enjoindre à la société Eutelsat de faire cesser la diffusion sur ses satellites des services de télévisions Al Manar.
Par une ordonnance du
13 décembre 2004 (CE Ord. 13 décembre 2004
Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel,
Req. n° 274757, à publier au Recueil, AJDA 2005, p.
206) (cf.
annexe), le président de la Section du contentieux
du Conseil d'État, statuant en référé,
a enjoint à la société Eutelsat de faire cesser,
sous 48 heures et à peine d'une astreinte de 5 000 euros
par jour de retard, la diffusion, sur ses capacités satellitaires,
de la chaîne de télévision Al Manar.
Le président de la Section du contentieux a d'abord présenté les dispositions législatives applicables en précisant l'articulation entre les pouvoirs du Conseil d'État, au regard des dispositions de l'article 42-10 de la loi, et du Conseil supérieur de l'audiovisuel, agissant sur le fondement de l'article 42 de la même loi. La société éditrice de la chaîne de télévision Al Manar faisait en effet valoir qu'elle avait conclu avec le CSA le 19 novembre une convention définissant ses obligations au regard de la loi française et que ce conventionnement faisait obstacle à l'usage de la procédure de référé. L'ordonnance juge au contraire que cette procédure, dont la portée a été accrue par la loi du 9 juillet 2004, a vocation à s'appliquer, que l'opérateur de télévision soit ou non signataire d'une convention avec l'autorité de régulation. La même société soutenait en outre qu'une procédure de sanction ayant été engagée à son encontre par le CSA sur le fondement des articles 42 à 42-7 de la loi du 30 septembre 1986, la procédure de référé n'était plus susceptible d'être utilisée à raison des mêmes faits. L'ordonnance juge sur ce point que les deux procédures - dont les buts sont différents - peuvent être engagées parallèlement.
Sur le fond, le juge des référés a constaté ensuite qu'en dépit des avertissements prodigués par le CSA, la chaîne de télévision Al Manar avait continué, après la signature de la convention du 19 novembre, à éditer certaines émissions au contenu ouvertement contraire aux dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, qui prohibent la diffusion de tout programme contenant une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité. Compte tenu des risques pesant dès lors sur la sauvegarde de l'ordre public, le président de la Section du contentieux du Conseil d'État a donc enjoint à la société de droit français Eutelsat, dont les capacités satellitaires sont utilisées pour la diffusion d'Al Manar, de faire cesser cette diffusion dans les 48 heures.
Il est à noter que la procédure de sanction engagée le 7 décembre 2004 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le fondement des articles 42-1 et 42-7, consécutivement au constat du non-respect de la mise en demeure du 30 novembre 2004, a conduit l'instance de régulation, après avoir entendu les représentants de la chaîne Al Manar, à décider le 17 décembre 2004 de résilier la convention dont la société éditrice de la chaîne était signataire.