La France est touchée par une vague d’attentats terroristes d’une grande ampleur qui fait l’objet d’une couverture médiatique extrêmement importante. Si le traitement de tels événements, y compris sur le territoire français, n’est pas inédit pour les médias, il intervient toutefois dans un contexte marqué par la multiplication des canaux et des sources d’information et par le rôle croissant des réseaux sociaux.
En ce qui concerne les médias audiovisuels, l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que « la communication au public par voie électronique est libre. L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, (…) et, d'autre part, (…) par la sauvegarde de l'ordre public (…) ». L’explicitation de ces règles générales pour leur application au traitement d’actes terroristes a fait l’objet d’une recommandation du Conseil en date du 20 novembre 2013, qui figure en annexe.
Au-delà des règles impératives, les récents attentats ont donné lieu à des interrogations nouvelles sur les pratiques des médias audiovisuels. Ces interrogations sont d’autant plus fortes qu’en dépit de la concurrence de nouveaux acteurs, les médias audiovisuels demeurent les acteurs centraux de l’information du public lors de tels événements tragiques et jouent un rôle fondamental dans les représentations que les téléspectateurs et auditeurs se font de ces événements.
C’est dans ce contexte que le législateur, par l’article 20 de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, a complété l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 pour prévoir que le Conseil supérieur de l’audiovisuel « (…) élabore un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes. »
Les échanges que le Conseil a eus avec les éditeurs de radio et de télévision depuis les attentats de janvier 2015 ont bien fait apparaître que, dans toutes les rédactions, un travail d’analyse et de réflexion sur leurs pratiques a été mené, ce qui souligne leur esprit de responsabilité.
L’objet du présent document est de dresser un état des questions soulevées par la couverture d’événements terroristes qui ne peuvent être traitées par des règles impératives et de portée générale au regard de la diversité des situations rencontrées, et de proposer un ensemble de précautions à prendre pour y répondre.
Ce document a été élaboré après plusieurs rencontres avec les représentants des médias audiovisuels et des journalistes ainsi qu’avec des experts, des organisations professionnelles, des représentants des victimes et le Procureur de la République de Paris. Il prend en compte les réflexions en cours et les meilleures pratiques en usage au sein des rédactions des services de médias audiovisuels.
Ces préconisations ont été conçues pour permettre aux médias de concilier au mieux, dans le traitement des actes terroristes, l’impératif essentiel de libre information avec d’autres impératifs d’intérêt général : le bon déroulement des investigations judiciaires et la préservation de l’action des forces de sécurité ; la protection des victimes et de leurs proches et, de manière générale, le respect du principe de dignité de la personne humaine.
Une attention particulière a été portée à la représentation des terroristes et au traitement des images et des sons de propagande.
Le Conseil invite les éditeurs à poursuivre leur réflexion sur leurs pratiques, en prenant en compte, si ce n’est déjà le cas, les préconisations du présent document. Celles-ci ont vocation à être adaptées à leurs spécificités, en particulier lorsqu’ils assurent un service d’information en continu ou procèdent à des éditions spéciales. Le Conseil invite également les éditeurs à prendre les mêmes précautions quels que soient leurs canaux de diffusion de l’information, notamment leurs sites internet.
1. Précautions générales.
Des procédures internes fiables sont nécessaires à la sécurisation des informations délivrées. Elles sont d’autant plus importantes lorsqu’il s’agit de diffusions en direct. Leur définition et leur mise en œuvre relèvent de l’organisation propre à chaque rédaction.
Le Conseil considère toutefois qu’il est opportun, lorsque de tels évènements se produisent, que chacune d’entre elles mobilise une cellule de crise placée sous la responsabilité de professionnels expérimentés en la matière et instaure un processus de contrôle et de validation interne renforcé, opérationnels avant toute prise d’antenne, lorsque de tels événements se produisent.
Il considère également que les éditeurs doivent s’interroger sur l’opportunité de mettre en place une procédure permettant une diffusion en léger différé afin de garantir l’effectivité de ce processus de contrôle et de validation.
2. Les précautions nécessaires vis-à-vis des investigations judiciaires et de l’action des forces de sécurité.
Le Conseil rappelle que l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que la liberté de communication peut être limitée par les exigences liées à la sauvegarde de l’ordre public : il relève de la responsabilité des éditeurs de ne pas diffuser des images ou des sons qui pourraient, dans le cadre d’une attaque terroriste, porter atteinte à la sécurité des personnes.
Dans ce cadre, un certain nombre de pratiques appellent une vigilance particulière.
En premier lieu, il convient d’agir avec le plus grand discernement dans le travail de recherche de l’information afin d’éviter de gêner, notamment sur les lieux d’intervention, les forces de sécurité.
À ce titre, lorsque des opérations sont en cours, les éditeurs doivent s’abstenir de toute prise de contact avec les terroristes ou les otages au regard, d’une part, du risque d’instrumentalisation qu’elle comporte et, d’autre part, des conséquences dramatiques qui pourraient en découler s’agissant de la sécurité des personnes et du déroulement de l’enquête. En ce qui concerne la prise de contact avec les victimes, les témoins ou leurs proches, il convient de faire preuve d’une vigilance particulière, afin de ne pas mettre en danger la sécurité des personnes.
En cas de prise de contact directe à l’initiative des terroristes, il est indispensable que les pouvoirs publics en soient informés immédiatement et selon les procédures qu’ils auront définies.
En second lieu, les informations susceptibles d’être divulguées par les médias audiovisuels, notamment les éléments d’identification des terroristes ou relatifs à leur mode opératoire, ne doivent pas perturber le travail des forces de sécurité et de l’autorité judiciaire. Elles ne doivent notamment pas aider involontairement des comportements délinquants ou criminels.
Dans tous les cas, il est nécessaire d’entretenir des contacts suivis avec les autorités compétentes, qui peuvent éclairer les rédactions sur l’exactitude d’une information, voire, dans certains cas, l’opportunité d’en différer la diffusion.
3. Les précautions à prendre vis-à-vis de la présentation des terroristes et du traitement des images de propagande.
Le traitement des actes terroristes peut conduire à des phénomènes de mise en valeur, voire de glorification susceptibles de provoquer des comportements mimétiques ; c’est pourquoi il est essentiel que les éditeurs poursuivent une réflexion particulière sur le traitement des informations liées à l’identité des terroristes.
L’opportunité d’anonymiser les auteurs d’actes terroristes relève de la liberté éditoriale des diffuseurs. Les éléments recueillis par le Conseil lors de la concertation qu’il a menée ont montré en effet qu’il n’existe pas de réponse unique satisfaisante à la question de savoir s’il convient ou non de diffuser leur identité ou leur image.
Il revient aux éditeurs de formuler leur appréciation au cas par cas, en prenant en compte les circonstances et les conditions de diffusion, notamment de multidiffusion.
Il convient également de faire preuve d’une vigilance particulière dans le traitement des sujets relatifs à la personnalité ou au parcours des auteurs de ces actes, en veillant à ne pas les présenter sous un aspect qui pourrait être perçu comme positif ou qui serait de nature à heurter les victimes, leurs proches ou le public.
La diffusion d’éléments de propagande (images, sons ou termes employés) à des fins d’information relève également de la liberté des éditeurs. Le Conseil préconise toutefois, autant que possible, d’éviter leur mise à l’antenne et, en cas de diffusion, de faire preuve de la plus grande prudence, notamment en les accompagnant des éléments éditoriaux adaptés et des précisions quant à leur origine.
4. Les précautions à prendre vis-à-vis des victimes.
Le Conseil rappelle que les articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 prévoient que la liberté de communication peut être limitée notamment par les exigences liées au respect de la dignité de la personne humaine. La recommandation du 20 novembre 2013 énonce des règles à suivre afin de ne pas diffuser d’images pouvant porter atteinte à la dignité des victimes, des otages ou de leurs proches.
Au-delà, il convient de prendre en compte, dans le recueil des témoignages des victimes ou des témoins directs, l’état de vulnérabilité dans lequel ils peuvent se trouver. Les éditeurs doivent garder à l’esprit que certaines personnes qui acceptent de témoigner peuvent être en état de choc et ne pas être réellement en mesure de consentir de manière éclairée à la captation de leur image ou de leur propos.
En outre, une vigilance particulière est de mise s’agissant de l’acquisition à titre payant de documents amateurs, réalisés lors d’attaques terroristes. Le Conseil recommande de n’y recourir que de manière exceptionnelle, afin d’éviter d’encourager certaines personnes à capter des sons et des images lors d’événements dramatiques, dans la seule perspective de pouvoir les monnayer, sans prendre en considération l’effet de telles pratiques sur les victimes.
5. Les précautions à prendre pour renforcer la fiabilité des informations diffusées.
Le Conseil rappelle que la plupart des conventions des éditeurs privés, les cahiers des charges des éditeurs du secteur public ainsi que la recommandation du 20 novembre 2013 contiennent des obligations relatives à la rigueur dans la présentation et le traitement de l’information.
Tout particulièrement dans le cadre du traitement d’un attentat se déroulant sur le territoire national, le Conseil invite les éditeurs à faire preuve de précautions renforcées, afin, notamment, de ne pas contribuer à alimenter des mouvements de panique ou à accentuer le caractère anxiogène d’une situation.
Il apparaît ainsi essentiel de faire preuve de la plus grande prudence s’agissant de la diffusion d’informations non confirmées et susceptibles d’alimenter la tension et la panique qui peuvent s’emparer des personnes présentes sur les lieux des événements et plus généralement du public. En effet, les précautions telles que l’emploi du conditionnel ne suffisent pas toujours pour que le public ait conscience du caractère incertain d’une information. En toute situation, l’origine de l’information doit être précisée et les erreurs qui peuvent être commises doivent être rectifiées dès que possible et de manière répétée.
Une vigilance particulière doit être portée à la diffusion de témoignages recueillis sur le vif, en l’absence d’informations claires et confirmées sur le déroulement des événements. Il convient également de s’interroger sur la dimension réellement informative de certains des témoignages. En effet, compte tenu du contexte, les témoins peuvent, même involontairement, amplifier les faits ou relayer des rumeurs.
Les éditeurs devraient également faire preuve d’une prudence particulière lorsqu’ils décident de recourir à la diffusion d’images ou de sons provenant d’enregistrements amateurs, d’une part en renforçant les processus de vérification, d’autre part en les contextualisant.
S’agissant, enfin, du choix et de la présentation des experts, ceux-ci relèvent de la liberté éditoriale des médias. Cependant, certains intervenants s’exprimant à l’antenne au titre d’expert sont invités afin d’éclairer et de commenter ce type d’événements sans que le public soit toujours clairement informé de leur qualité et de leur parcours. Dès lors, le Conseil suggère de veiller par tout moyen à présenter de manière systématique et régulière les experts et leur trajectoire personnelle, susceptible d’influer sur leur analyse.
Le présent document sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 20 octobre 2016.
Pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel :
Le président
O. SCHRAMECK
ANNEXE 1 : TEXTES APPLICABLES A LA COUVERTURE AUDIOVISUELLE D’ACTES TERRORISTES
L’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose : « La communication au public par voie électronique est libre. L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la protection de l'enfance et de l'adolescence, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle. (…) »
L’article 3-1 de cette même loi dispose : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, garantit l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle par tout procédé de communication électronique, dans les conditions définies par la présente loi. (…) »
L’article 15 de cette loi dispose : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille à la protection de l'enfance et de l'adolescence et au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle. (…) Il élabore un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes. »
Le Conseil a en outre adopté la recommandation suivante :
« Le Conseil recommande aux éditeurs, pour chacune des émissions qui traitent de ces faits de veiller au respect des principes suivants :
1. Dignité de la personne humaine
• En s’abstenant de présenter de manière manifestement complaisante la violence ou la souffrance humaine lorsque sont diffusées des images de personnes tuées ou blessées et des réactions de leurs proches ;
• En préservant la dignité des personnes prises en otage, notamment lorsque leur image ou tout autre élément permettant de les identifier est utilisé par les ravisseurs ;
• En respectant scrupuleusement les stipulations des conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels relatives à la protection des prisonniers de guerre et des personnes civiles en temps de guerre.
2. Ordre public et honnêteté de l’information
• En traitant avec la pondération et la rigueur indispensables les conflits internationaux susceptibles d’alimenter des tensions et des antagonismes au sein de la population ou d’entraîner, envers certaines communautés ou certains pays, des attitudes de rejet ou de xénophobie ;
• En vérifiant l’exactitude des informations diffusées ou, en cas d’incertitude, en les assortissant de réserves, en les présentant au conditionnel et en citant la provenance et la date, sous réserve de la protection des sources notamment garantie par la loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes ;
• En procédant en cas de diffusion d’informations inexactes, à leur rectification dans les meilleurs délais et dans des conditions d’exposition comparables ;
• En accompagnant la diffusion d’images d’archives d’une mention à l’antenne pour signaler cette origine.
3. Protection des personnes
• En veillant à ce que la diffusion de sons et/ou d’images difficilement soutenables soit systématiquement précédée d’un avertissement explicite au public destiné à protéger les personnes les plus vulnérables de leur éventuel impact ;
• En veillant, avec une vigilance constante, au respect des règles édictées par la recommandation du 7 juin 2005 aux éditeurs de services de télévision concernant la signalétique jeunesse et la classification des programmes et à celui de la délibération du 20 décembre 2011 relative à la protection du jeune public, à la déontologie et l’accessibilité des programmes sur les services de médias audiovisuels à la demande. »
ANNEXE 2 : ÉLÉMENTS RELATIFS A LA CONCERTATION AYANT PRÉCÉDÉ L’ÉLABORATION DU PRÉSENT DOCUMEnt
13 septembre 2016 : Première réunion avec les éditeurs de télévision et de radio
Étaient présents :
- Arte,
- Canal +,
- Euronews,
- France Médias Monde,
- France Télévisions,
- Lagardère,
- LCP-AN,
- Métropole Télévision,
- NextRadioTV,
- Public Sénat,
- Radio France,
- RTL,
- le Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes (SIRTI),
- TF1.
23 septembre 2016 : Réunion avec des experts
Étaient présents :
- M. Jean-Charles BRISARD, président du Centre d’analyse du terrorisme ;
- M. Pierre CONESA, maître de conférences à l’IEP de Paris ;
- M. François JOST, professeur des universités, directeur du laboratoire Communication et médias ;
- M. Pierre LEFÉBURE, maître de conférences à l’Université Paris 13 – LCP-IRISSO ;
- M. Gérôme TRUC, sociologue.
29 septembre 2016 : Réunion avec des représentants de journalistes ainsi que des personnalités qualifiées
Étaient présents :
- M. Jean-Luc BARDET, rédacteur en chef France de l’Agence France Presse (AFP) ;
- M. Paul COPPIN, responsable juridique de Reporters sans frontières ;
- M. Olivier DA LAGE, membre du bureau national du Syndicat national des journalistes (SNJ) ;
- M. Stéphane DELFOUR, responsable vidéo France de l’AFP ;
- M. Patrick EVENO, Président de l’Observatoire de la déontologie de l’information ;
- Mme Dominique PRADALIE, secrétaire générale du SNJ.
3 octobre 2016 : Deuxième réunion avec les éditeurs de télévision et de radio
Étaient présents :
- Arte,
- Canal +,
- Euronews,
- France Médias Monde,
- France Télévisions,
- Lagardère,
- LCP-AN,
- Métropole Télévision,
- NextRadioTV,
- Public Sénat,
- Radio France,
- RTL,
- le SIRTI,
- TF1.
12 octobre 2016 : Audition en collège plénier des représentants de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM) :
- M. Jérôme BERTIN, directeur général par suppléance de l’INAVEM ;
- Mme Olivia MONS, responsable de la communication de l’INAVEM.
12 octobre 2016 : Audition en collège plénier de :
- M. François MOLINS, Procureur de la République de Paris ;
- Mme Agnès THIBAULT-LECUIVRE, Vice-procureure de la République.
17 octobre 2016 : Troisième réunion avec les représentants des éditeurs de télévision et de radio
Étaient présents :
- Arte,
- Canal +,
- Euronews,
- France Médias Monde,
- France Télévisions,
- Lagardère,
- LCP-AN,
- Métropole Télévision,
- NextRadioTV,
- Public Sénat,
- Radio France,
- RTL,
- le SIRTI,
- TF1.