Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a été saisi pour avis, le 8 octobre 2014, par le Premier ministre, d'un projet de modification du tableau national de répartition des bandes de fréquences.
Après en avoir délibéré le 26 novembre 2014, il émet l'avis suivant.
- 1° Sur le transfert des fréquences de la bande 694-790 MHz (aussi appelée bande 700 MHz) à d'autres services que celui de la radiodiffusion, en particulier aux services mobiles à très haut débit de communications électroniques :
Le conseil prend acte des orientations retenues par le Gouvernement tendant à affecter, à partir du 1er décembre 2015 et pour les territoires de la Région 1 de l'Union internationale des télécommunications (métropole, La Réunion et Mayotte), les sous-blocs de fréquences 703-733 MHz et 758-788 MHz au service mobile pour l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), à égalité de droit avec le service de radiodiffusion.
Il prend également acte qu'à compter du 1er juillet 2019, c'est l'ensemble de la bande 694-790 MHz qui ne sera plus affecté au service de radiodiffusion.
Le conseil note en tout premier lieu qu'un préalable à ce nouveau retrait de fréquences (1) - qui représente 30 % de la ressource hertzienne totale actuellement utilisée par la télévision numérique terrestre (TNT) - est de pouvoir tirer parti de la généralisation de la technologie de compression MPEG-4 sur la plate-forme métropolitaine afin d'arrêter la norme MPEG-2. Cela suppose également que la loi, sur le modèle du passage au tout numérique, institue, d'une part, un dispositif d'accompagnement permettant aux téléspectateurs concernés de s'équiper de récepteurs compatibles avec la norme MPEG-4, et, d'autre part, un concours financier alloué aux foyers défavorisés ou touchés par d'éventuelles pertes de couverture.
Le conseil comprend donc que le présent projet de modification du tableau national de répartition des bandes de fréquences (TNRBF) n'est qu'un élément d'un projet plus vaste, et que les dispositions précises sur lesquelles le Gouvernement entend s'engager pour l'accompagnement de la TNT et des téléspectateurs dans l'opération nationale de dégagement de la bande 700 MHz ne sont pas encore connues. Il semble nécessaire, pour le conseil, que ces dispositions de nature législative ou réglementaire portent notamment sur :
- les aides à l'équipement pour les téléspectateurs les plus démunis ;
- la campagne d'information nationale sur les conséquences de l'arrêt du MPEG-2 ;
- l'introduction d'un dispositif de retrait des autorisations délivrées aux opérateurs de multiplex, collectivités locales, constructeurs, syndics et propriétaires d'immeuble ;
- l'accompagnement de la fin de la double diffusion SD et HD obligatoire ;
- les éventuelles obligations d'intégration progressive du DVB-T2/HEVC dans les téléviseurs puis dans les adaptateurs TNT ;
- l'accompagnement, notamment financier, des collectivités locales ;
- le financement spécifique de compensation des coûts induits par le transfert des fréquences de la bande 700 MHz du secteur audiovisuel vers les services mobiles de communications électroniques ;
- la prise en charge des coûts de résolution des brouillages de la réception de la TNT occasionnés par les nouveaux utilisateurs de la bande 700 MHz.
Par ailleurs, le conseil souligne que ce nouveau retrait de fréquences interfère avec le développement de la plate-forme et notamment le déploiement des six nouvelles chaînes en haute définition (HD) lancées en décembre 2012 sur les 7e et 8e multiplex appelés « R7 » et « R8 ».
En effet, la libération de la bande 700 MHz de toute diffusion TNT rendra nécessaire l'extinction de deux multiplex nationaux, c'est-à-dire qu'il sera demandé aux éditeurs et aux diffuseurs d'éteindre une partie des équipements récemment déployés sur l'ensemble du territoire. Cette perspective induit une dépréciation des investissements consentis, à la fois par les chaînes de télévision, publiques comme privées, par les diffuseurs (2), mais aussi par l'Etat.
La TNT a neuf ans d'existence. Elle est un réseau de communications électroniques qui apporte les services audiovisuels en mode numérique à plus de 97 % de la population, avec un débit de près de 200 Mbit/s par foyer, grâce à un réseau de quelque 1940 sites de diffusion. Si 1 626 sites sont financés par les chaînes, un peu plus de 310 sites complémentaires de diffusion sont pris en charge par les collectivités locales au titre de l'article 30-3 de la loi du 30 septembre 1986 (3). Ces sites seront eux aussi touchés par l'arrêt de deux multiplex nationaux et les réaménagements de fréquences nécessaires au dégagement de la bande 700 MHz.
Enfin, le conseil rappelle que la diffusion TNT revêt une importance démocratique de premier plan pour la poursuite des objectifs d'intérêt général que sont la gratuité ou le financement et la promotion de la diversité culturelle, et qu'il n'existe, à ce stade, aucune voie de substitution au dispositif actuel. Un déclin de la plate-forme hertzienne, occasionné par un retrait de la bande 700 MHz dans des conditions qui ne seraient pas respectueuses de ses utilisateurs actuels, entraînerait une forte diminution de la contribution des éditeurs à l'économie culturelle de la France.
C'est pourquoi, pour s'assurer que le transfert de la bande 700 MHz puisse être engagé par les différents acteurs de la TNT, mais aussi être accepté par les téléspectateurs et les élus locaux, le conseil estime que cinq conditions d'égale importance devront être remplies :
- maintenir l'attractivité de la plate-forme à l'occasion de l'arrêt de la norme MPEG-2, de façon à ne pas perdre les téléspectateurs dans une opération qui ne présenterait pas de bénéfice pour eux. Il s'agira a minima d'assurer la bonne continuité des services existants, en limitant au maximum les rétractions de couverture et en s'appuyant sur six multiplex nationaux coordonnés avec les administrations des pays voisins dès que possible et au plus tard en temps utile pour les opérations de dégagement de la bande 700 MHz ;
- permettre la poursuite du mouvement de généralisation de la HD à toutes les chaînes de la TNT qui le souhaitent, conformément aux attentes des téléspectateurs. Le conseil rappelle en effet que cette généralisation est un impératif, alors que la HD constituera le standard d'image par défaut sur la plupart des réseaux de diffusion à l'horizon 2016-2017, y compris sur l'internet. La TNT deviendrait sinon très vite obsolète, puisqu'elle souffrirait d'un désavantage concurrentiel et d'une image de plate-forme « au rabais », notamment auprès des annonceurs. Peu attractive, incapable de se moderniser, sa viabilité économique serait alors largement menacée ;
- garantir l'accompagnement, notamment financier, des téléspectateurs, mais aussi des collectivités locales ;
- prévoir un financement spécifique de compensation des coûts induits par le transfert des fréquences de la bande 700 MHz du secteur audiovisuel vers les services mobiles de communications électroniques ;
- préparer dans le même temps la transition technologique vers une plate-forme modernisée, seule à même de compenser à terme la perte de 30 % des ressources hertziennes que la TNT utilise aujourd'hui et d'assurer une amélioration de l'offre conforme aux attentes des acteurs et des consommateurs. Les pouvoirs publics devront envoyer un message clair aux industriels et aux fabricants, de manière à favoriser l'adoption la plus éclairée et la plus précoce possible, par les consommateurs, de récepteurs compatibles avec les normes de la TNT du futur (DVB-T2 et HEVC). La mise en place de labels pourrait faciliter la communication auprès du grand public.
- 2° Sur le mandat de négociation qui sera confié à l'Agence nationale des fréquences :
Un mandat de négociation aux frontières doit être rapidement confié à l'Agence nationale des fréquences (ANFR), avec l'objectif de pouvoir disposer d'au moins 6 multiplex nationaux de TNT tout au long du processus de dégagement de la bande 700 MHz, et en particulier dès l'extinction de la norme MPEG-2, qui sera le point de départ du repli de l'offre de la TNT.
Ces 6 multiplex nationaux devront permettre la couverture du territoire métropolitain dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui (pas de rétractions de couverture) et dans une qualité au moins équivalente à celle d'aujourd'hui (pas de dégradation de l'offre de la TNT existante). La structure actuelle du réseau TNT devra être préservée. Des ressources interstitielles supplémentaires seront également nécessaires pour maintenir les offres locales ou régionales.
Le conseil note par ailleurs que le calendrier de dégagement de la bande 700 MHz sur la scène européenne n'est pas aussi resserré que celui envisagé en France. Le plan de fréquences sur lequel la TNT devra être redéployée jusqu'en juin 2019 pour permettre le dégagement de la bande 700 MHz ne sera donc pas un plan de fréquences « définitif », mais seulement un plan de fréquences transitoire. Ce sera la conséquence de l'anticipation du calendrier français par rapport à celui des autre pays. Ainsi, pour permettre à nos pays voisins de dégager à leur tour la bande 700 MHz à partir de 2020/2022 (4), la France devra accepter de modifier plus ou moins substantiellement son plan de fréquences TNT, occasionnant une seconde phase de réaménagements sur le territoire.
Enfin, le conseil rappelle que conformément à l'article 9 de la loi du 30 septembre 1986, il devra être consulté par l'Agence nationale des fréquences, zone par zone, préalablement à toute négociation, de manière à s'assurer que les fréquences négociées soient compatibles avec les besoins du secteur audiovisuel et minimisent l'impact du transfert de la bande 700 MHz sur les téléspectateurs.
- 3° Sur la protection de la radiodiffusion en dessous de 694 MHz :
Le conseil appelle l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de garantir une bonne réception des services audiovisuels.
Il ressort en effet des études réalisées aux niveaux européen et international qu'il existe un risque important de brouillage de la réception de la TNT par les systèmes de communication mobile dans la bande 700 MHz, que ce soit par les stations de base (cette situation pourrait être à peu près identique à celle connue en bande 800 MHz) ou par les terminaux mobiles des utilisateurs (téléphones, ordiphones ou tablettes qui seront utilisés dans le voisinage d'équipements de réception de la TNT). Le conseil souhaite alerter le Gouvernement sur l'impact de ces brouillages d'un genre nouveau, qui s'introduiront au sein même des foyers, ainsi que sur les modalités de leur prise en charge.
En tout état de cause, le conseil rappelle qu'il sera nécessaire de prendre, le plus en amont possible, toutes les mesures utiles afin de limiter l'impact négatif de ces perturbations sur la bonne réception de la TNT.
La TNT, repliée en-dessous de la bande 700 MHz sur un plan de fréquences transitoire, puis sur un plan « définitif », devra être protégée des brouillages préjudiciables occasionnés par les réseaux mobiles déployés en bande 700 MHz, comme en bande 800 MHz. Les assignations de la TNT concernées par les réaménagements induits par la libération de la bande 700 MHz devront conserver leur « antériorité » dans le fichier national des fréquences.
Enfin, le conseil estime indispensable que les opérateurs qui bénéficieront de l'usage des fréquences de la bande 700 MHz assument la totalité des coûts de prise en charge de la résolution de tout brouillage, comme c'est le cas en bande 800 MHz.
- 4° Sur l'adoption d'un arrêté modificatif du TNRBF qui précisera toute disposition nécessaire pour organiser l'arrêt progressif des diffusions audiovisuelles dans la bande 694-790 MHz et conférer à l'ARCEP le statut de seul affectataire primaire des blocs 703-733 MHz et 758-788 MHz au fur et à mesure de la libération de la bande :
Le conseil regrette tout d'abord que le calendrier figurant dans le projet d'arrêté ne lui permette pas d'élaborer les éléments de ce texte complémentaire avec l'ARCEP et les administrations concernées d'ici février 2015, compte tenu des délais liés à la procédure de publication d'un arrêté, incluant la consultation de la Commission parlementaire de modernisation de la diffusion audiovisuelle.
Sur le fond, le conseil sera particulièrement vigilant à la rédaction de ce texte complémentaire et souhaite d'ores et déjà appeler l'attention du Gouvernement sur les éléments suivants :
- le conseil, en tant que coordonnateur technique de l'opération de dégagement des fréquences de la bande 700 MHz pendant toute la durée de l'opération nationale de réaménagement des fréquences (jusqu'en 2020/2022), aura tout particulièrement besoin de marges de souplesse et de délais de réactivité pour mener à bien ce chantier dans les délais très serrés qui lui sont fixés ;
- le calendrier des négociations internationales ne semble pas compatible avec l'élaboration d'un plan de dégagement de la bande 700 MHz trop précis et verrouillé dès février 2015. En particulier, le « RSPG (5) » vient d'adopter un projet d'avis recommandant que l'ensemble des accords de coordination aux frontières soient terminés et signés au plus tard à la fin 2017 (6), ce qui signifie que de nombreux ajustements seront nécessaires d'ici là ;
- c'est pourquoi le conseil estime que, à l'instar du dispositif qui avait été retenu pour le passage au tout numérique de la diffusion hertzienne terrestre, un calendrier défini à l'échelle du trimestre, plaque géographique par plaque géographique (10 phases sont à ce jour envisagées), sous réserve des coordinations aux frontières (7), devrait être privilégié. En complément de ce calendrier, le Conseil publiera sur son site internet, aussitôt qu'il le pourra, des données plus précises tout au long du déroulement de l'opération, comme par exemple, la liste des sites réaménagés, le calendrier associé, voire d'autres données comme la population couverte par les sites concernés, etc.
Le conseil estime en outre que l'arrêté modificatif du TNRBF devra prévoir que :
- les assignations de fréquences de la TNT restant utilisées dans la bande 700 MHz entre le 1er décembre 2015 et le 30 juin 2019 devront être protégées des brouillages préjudiciables occasionnés par les premiers déploiements des services mobiles dans la bande 700 MHz, et ne pourront en aucun cas être contraintes de protéger les réseaux mobiles en question ;
- la disponibilité du reste de la bande 470-694 MHz sera garantie pour le secteur audiovisuel jusqu'en 2030 (avec une éventuelle clause de rendez-vous en 2025). Il est en effet essentiel, au regard des investissements qui seront nécessaires à la modernisation de la plate-forme (transition technologique vers le DVB-T2/HEVC notamment), de prévoir une période appropriée pour la sécurisation et l'amortissement de ceux-ci ;
- enfin, le calendrier et le processus opérationnel de dégagement de la bande 700 MHz à Mayotte et à la Réunion devront être davantage précisés, en tenant compte des spécificités et des besoins de ces territoires.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 26 novembre 2014.
Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :
Le président,
O. Schrameck
(1) La bande 800 MHz, issue du « dividende numérique », a été retirée à la TNT à la fin des opérations de passage au tout numérique fin 2011. (2) La libération de la bande 700 MHz va conduire à des ruptures anticipées de contrats de diffusion, quel que soit le multiplex considéré. (3) Le succès de ces émetteurs supplémentaires atteste d'ailleurs du grand attachement des élus locaux à la TNT. (4) Deux dates butoir sont en cours de discussions en Europe. (5) « Radio Spectrum Policy Group ». Le RSPG est un groupe d'experts gouvernementaux à haut niveau créé en 2002 qui assiste la Commission européenne et la conseille sur des aspects relatifs à la politique du spectre, sur la coordination des politiques et, le cas échéant, sur l'harmonisation des conditions relatives à la disponibilité et à l'utilisation efficace du spectre radioélectrique nécessaire pour l'instauration et le fonctionnement du marché intérieur. (6) « RSPG recommends that […] Member States begin negotiations as early as possible to ensure that all necessary cross-border coordination agreements will be finalized at the latest by the end of 2017, taking into account the 3 year period envisaged by the RSPG Report “on proposed spectrum coordination approach for broadcasting in the case of a reallocation of the 700 MHz band ». (7) Suivant l'évolution de la négociation du plan de fréquences aux frontières, l'ordonnancement et le périmètre des plaques devront peut-être être modifiés afin d'éviter les situations de blocage.