Avis n° 2010-10 du 4 mai 2010 sur un projet de décret relatif à la contribution au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre
Saisi pour avis par le gouvernement en application des articles 9 et 27 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, d'un projet de décret relatif à la contribution au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, après en avoir délibéré en assemblée plénière le 4 mai 2010, émet l'avis suivant.
I. Observations générales
Le projet de décret consacre les différents accords conclus entre éditeurs de services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre et organisations professionnelles représentatives des auteurs et producteurs d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques.
Le Conseil note que les négociations qui ont eu lieu en vue de ces accords ont réuni des éditeurs de services issus de groupes audiovisuels différents et les organisations professionnelles concernées.
Des régimes adaptés à chaque éditeur de service.
Le Conseil relève que les modalités de la contribution des différents éditeurs de service au développement de la production audiovisuelle pourront varier d'un éditeur à l'autre, en fonction de leurs ressources et de leurs engagements spécifiques. Prenant en compte les accords signés par les éditeurs, des montées en charge et des taux d'obligation réduits sont prévus pour les différents régimes, en fonction des montants de chiffres d'affaires des éditeurs.
Si le dispositif peut sembler complexe, le Conseil considère qu'il va dans le sens de la prise en compte des spécificités des différents éditeurs et d'une adaptation de la réglementation aux particularités du secteur.
Il remarque cependant que le projet de décret, qui a vocation à régir la contribution au développement de la production audiovisuelle et cinématographique de l'ensemble des éditeurs diffusés par voie hertzienne terrestre, reprend les particularités négociées dans les différents accords existant à ce jour et pourrait en conséquence soulever quelques difficultés pour son application future à des éditeurs n'existant pas à sa date d'entrée en vigueur ou n'ayant pas signé d'accords avec les représentants des producteurs audiovisuels et cinématographiques.
Il semble donc au Conseil que le texte impose de fait à tout nouvel éditeur de conclure, avec les représentants des organisations professionnelles, des accords déterminant ses engagements spécifiques et les modalités de sa contribution au développement de la production audiovisuelle et cinématographique.
La montée en puissance des obligations en fonction
de seuils de chiffres d'affaires ou de ressources.
Le projet de décret instaure un dispositif gradué prévoyant que les taux de la contribution des éditeurs au développement de la production audiovisuelle soient renforcés et les souplesses du dispositif amoindries à mesure que le chiffre d'affaires d'un éditeur de service en clair ou le nombre d'abonnés d'un éditeur de service payant augmente.
La flexibilité de ce système prend en compte les puissances économiques relatives des éditeurs et présente l'avantage d'éviter des effets de seuil majeurs en permettant une augmentation progressive des obligations selon l'évolution des chiffres d'affaires.
Le dispositif en faveur des oeuvres audiovisuelles inédites.
Le Conseil affirme une fois encore son attachement au développement de la contribution à la production inédite d'oeuvres audiovisuelles, condition indispensable au renouvellement de la création.
Il regrette en conséquence que le projet de décret, reprenant en cela les accords négociés par les éditeurs, ne garantisse plus un niveau minimal d'investissements dans la production inédite d'oeuvres audiovisuelles (dépenses de préachats, coproductions et conventions d'écriture) contrairement aux dispositions relatives à la contribution au développement de la production cinématographique qui prévoient des obligations minimales de préachats.
En effet, le projet de décret n'assujettit les éditeurs en clair dont le chiffre d'affaires est égal ou supérieur à 300 millions d'euros, qu'à la seule obligation de diffuser cent vingt heures d'oeuvres audiovisuelles, européennes ou d'expression originale française, qu'ils n'ont jamais précédemment diffusées, dont la diffusion commence entre 20 heures et 21 heures, et ce sans obligation d'investissement dans la production inédite d'oeuvres audiovisuelles.
Les éditeurs de services en clair dont le chiffre d'affaires est inférieur à 300 millions d'euros se sont, quant à eux, engagés dans leurs accords à ce qu'une part de leurs dépenses, dans certains genres d'oeuvres audiovisuelles uniquement, soit constituée d'investissements en production inédite ou d'achats de droits d'oeuvres inédites en diffusion sur le réseau hertzien numérique.
Par ailleurs, le projet de décret donne la possibilité au Conseil, en prenant en compte les accords professionnels, de fixer, dans les conventions des éditeurs de services payants, la part minimale de leur contribution affectée à la production inédite d'oeuvres audiovisuelles, sachant que ces accords ne comportent pas de stipulations en ce sens.
Le Conseil craint que les dispositions du projet de décret ne présentent pas de garanties suffisantes au regard de l'objectif poursuivi de préserver un volume de production inédite. Il lui semble donc que le seul dispositif réellement efficace en faveur du renouvellement de la création audiovisuelle serait la fixation d'un pourcentage minimal de la contribution ou du chiffre d'affaires consacré à des dépenses de production inédite.
La date d'entrée en vigueur du décret.
Le Conseil souligne les difficultés que posera aux éditeurs l'application en 2010 de deux régimes différents à un même exercice.
Les modalités de la contribution devant être profondément modifiées en vertu des dispositions figurant dans le projet de décret, il sera très difficile aux éditeurs de veiller au respect des décrets de 2001 pour la première partie de l'année et du décret à venir pour la seconde partie de l'année (modification de l'assiette de calcul, les recettes issues de l'exploitation des services de télévision de rattrapage étant ajoutées au chiffre d'affaires ou aux ressources des éditeurs, modification des taux applicables à la contribution, modification des dépenses prises en compte par l'ajout de dépenses nouvelles, modification des critères définissant la production indépendante, modification pour certains éditeurs de l'exercice de prise en compte des dépenses d'achats de droits de diffusion).
Afin de régler cette difficulté, le décret pourrait prévoir que la convention conclue entre le Conseil et chaque éditeur fixe, en fonction de la date d'entrée en vigueur du décret, les modalités de mise en oeuvre, pour l'exercice 2010, de la contribution au développement de la production audiovisuelle, en admettant, le cas échéant, l'application des règles fixées par le nouveau décret à l'ensemble des dépenses de cet exercice.
II. - Observations sur certaines dispositions
La prise en compte de l'exploitation des services de télévision de rattrapage
dans l'obligation de contribution à la production d'oeuvres cinématographiques.
Les recettes issues de l'exploitation des services de télévision de rattrapage sont comprises dans le chiffre d'affaires ou les ressources des éditeurs servant de base de calcul à la contribution de ceux-ci au développement de la production audiovisuelle, et les sommes versées au titre de l'acquisition des droits d'exploitation des oeuvres audiovisuelles sur leur service de télévision de rattrapage sont naturellement incluses dans les dépenses retenues au titre des obligations.
Le Conseil regrette que ces recettes et ces dépenses n'aient pas été prises en compte par le projet de décret pour la contribution au développement de la production cinématographique des éditeurs de services non cinéma.
Il note par ailleurs que les sommes consacrées à l'acquisition de droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques sur les services de télévision de rattrapage sont incluses dans l'obligation globale de certains services de cinéma. Mais il regrette que les recettes issues de l'exploitation de ces services ne soient pas prises en compte au titre des ressources totales annuelles de l'éditeur.
Le seuil déclenchant la montée en charge de l'obligation
de préachats d'oeuvres cinématographiques.
Pour les éditeurs de services en clair dont le chiffre d'affaires annuel net est inférieur à 150 millions d'euros, le projet de décret prévoit qu'à partir d'un chiffre d'affaires de 75 millions d'euros les conventions et cahiers des charges des éditeurs fixent, de manière progressive, la part minimale de l'obligation devant être consacrée à l'achat de droits de diffusion en exclusivité (préachats).
Compte tenu de la montée en puissance des nouvelles chaînes gratuites de la TNT, qui repose très largement sur la programmation d'oeuvres cinématographiques, le Conseil estime que ce seuil pourrait être fixé à 50 millions d'euros. Il est en effet essentiel que ces éditeurs contribuent, aux côtés des éditeurs de services historiques, au dynamisme de la création cinématographique.
Les éditeurs de services de cinéma dont les ressources annuelles sont supérieures à 350 millions d'euros doivent consacrer à des préachats au moins 80 % de leur obligation d'acquisition de droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques d'expression originale française.
Le Conseil regrette qu'aucune disposition similaire ne vise les éditeurs de services de cinéma dont les ressources annuelles sont inférieures à 350 millions d'euros. Une telle mesure serait souhaitable, au moins pour les éditeurs de services de cinéma de premières diffusions, afin de les encourager à contribuer à la production d'oeuvres cinématographiques d'expression originale française inédites, dès lors que leurs ressources totales annuelles auraient atteint 50 millions d'euros.
Précisions rédactionnelles :
Le seuil de chiffre d'affaires déclenchant les obligations de contribution
au développement de la production audiovisuelle et cinématographique.
Le projet de décret fixe des obligations diversifiées en fonction de différents seuils de chiffres d'affaires sans préciser si ces chiffres d'affaires sont ceux de l'année en cours ou ceux de l'exercice précédent. Le texte devrait être plus précis et faire référence explicitement au chiffre d'affaires de l'exercice précédent.
La part des oeuvres audiovisuelles européennes qui ne sont pas
d'expression originale française dans la contribution des services payants.
Les accords signés par les éditeurs de services payants et les organisations professionnelles limitent la part des oeuvres européennes qui ne sont pas d'expression originale française, à la fois, dans la contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles dans leur ensemble et dans la contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles patrimoniales. Le II de l'article 25 du projet de décret devrait en conséquence mentionner explicitement les deux obligations.
La transposition au 5° de l'article 29 de stipulations inscrites
dans l'accord conclu avec les éditeurs de la TNT payante.
Les accords signés par les éditeurs de services payants et les représentants des producteurs et des auteurs proposent une option permettant de diminuer le taux de la contribution des éditeurs sous réserve de ne pas prendre en compte l'intégralité du montant dépensé pour la production d'oeuvres audiovisuelles autres que patrimoniales et pour la production d'émissions de plateau.
Le 5° de l'article 29 ne retranscrit pas strictement les termes de l'accord négocié. Il laisse en effet supposer la possibilité, non prévue dans l'accord, d'un régime avec un taux d'obligation plus bas, mais sans prise en compte de dépenses pour des émissions de plateau. La stricte transposition des accords nécessiterait une rédaction plus précise.
III. Dispositions proposées par le Conseil
L'amélioration de la circulation des oeuvres.
Le Conseil souligne à nouveau l'importance que revêt, pour l'ensemble du secteur audiovisuel, une circulation fluide des oeuvres audiovisuelles sur le marché des droits.
Cette circulation est attendue tant par les éditeurs de services de la TNT, tributaires du second marché, et dont la santé économique passe par l'acquisition d'oeuvres attractives pour leurs antennes et donc par un accès étendu aux catalogues, que par les producteurs et distributeurs audiovisuels qui souhaitent valoriser librement leurs catalogues. Des effets positifs sur la création audiovisuelle peuvent également être attendus dans la mesure où le produit des ventes de programmes sur le second marché apporte aux producteurs audiovisuels des compléments de trésorerie qui leur permettent plus de souplesse dans leurs investissements dans la production d'oeuvres audiovisuelles inédites.
Une des mesures susceptibles de favoriser la circulation des oeuvres audiovisuelles serait l'inscription, dans le projet de décret, d'une disposition relative à la fin anticipée des droits de diffusion à l'issue de la dernière diffusion effective des couvres, afin d'accélérer leur disponibilité sur le second marché des droits de diffusion. Le Conseil réaffirme son souhait, déjà exprimé dans son avis n° 2009-8 du 15 juillet 2009, de voir cette mesure mise en oeuvre.
L'amélioration des pratiques concernant les délais de paiement.
Le Conseil a été fréquemment alerté sur les délais de paiement parfois excessifs pratiqués par les éditeurs, les derniers versements dus aux producteurs intervenant parfois avec plusieurs mois de retard après la livraison de l'oeuvre audiovisuelle. Le secteur de la production audiovisuelle pâtit de cette situation qui réduit la capacité de réinvestissement des entreprises de production.
Le Conseil rappelle que la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie vise à « favoriser le développement des petites et moyennes entreprises » et inscrit dans le code de commerce des dispositions encadrant les délais de paiement dus aux prestataires.
Il note qu'en matière de contribution au développement de la production cinématographique la prise en compte de certaines dépenses est conditionnée notamment au versement effectif des sommes dues par les éditeurs.
Pour inciter ces derniers à réduire les délais de paiement en matière de production audiovisuelle, il recommande en conséquence que soit aménagé un dispositif comparable à celui qui existe pour la production cinématographique.
Il préconise que soit introduite, en application de la loi du 4 août 2008, une disposition soumettant la prise en compte des dépenses au versement effectif, par l'éditeur, d'une part substantielle de son apport financier dans un délai raisonnable variant selon la nature des dépenses : après la fin de la période de prises de vues lorsqu'il s'agit de préachats. Ou après la livraison du programme, dans le cas d'achats de droits de diffusion.
Pour la mise en oeuvre des remarques ci-dessus, le Conseil propose les modifications rédactionnelles mentionnées en annexe au présent avis.
Fait à Paris, le 4 mai 2010.
Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel,
Le président,
M. Boyon
Annexe au présent avis :
Consultez la page du Journal officiel du 3 juillet 2010