I - Sur la réforme du secteur public de l'audiovisuel
Le contexte aujourd'hui fortement concurrentiel du paysage audiovisuel appelle une affirmation nouvelle des missions du secteur public, un renforcement de son financement et une rationalisation de son organisation. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, très attaché à un service public fort, uni, diversifié (communiqué du CSA n° 375 du 24/08/98), approuve donc la volonté du gouvernement de renforcer le secteur public. Le Conseil adhère à l'ensemble des objectifs tendant à regrouper les sociétés publiques dans un même pôle coordonné et doté d'une unité de direction et de stratégie, à leur assurer un financement pluriannuel, à réduire substantiellement la place de la publicité dans leur financement et à allonger la durée des mandats de leurs responsables.
Le Conseil approuve les grandes missions assignées au secteur public et leur affirmation au niveau de la loi. Parmi celles-ci, énumérées à l'article 1er du projet de loi, pourraient être également consacrées la contribution à la production d'oeuvres françaises et européennes ainsi que la nécessité d'assurer une information internationale.
A/ Sur les structures et modes de nomination
1/ Structures
Le Conseil souscrit à la création d'un holding pour France Télévision. L'élargissement du groupe public de télévision devra prolonger et confirmer les rapprochements engagés entre France 2 et France 3.
De ce point de vue, la désignation d'un président commun au holding et aux chaînes filiales constitue un gage de cohérence et de complémentarité dans l'action de l'ensemble des chaînes du secteur public.
Toutefois, afin de garantir l'efficacité de ce holding, le Conseil estime qu'un conseil d'administration, exerçant la plénitude de ses fonctions et de ses pouvoirs, est de nature à mieux remplir l'objectif poursuivi en simplifiant l'architecture proposée.
En tout état de cause, si le gouvernement maintient la structure présentée dans le projet de loi, il apparaît souhaitable que le Conseil de surveillance ne soit pas majoritairement l'émanation de l'État actionnaire afin que reste garantie l'indépendance de la télévision publique. C'est la raison pour laquelle il serait préférable de porter à trois le nombre de personnalités qualifiées nommées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et de ramener à trois celui des représentants de l'État.
2/ Modes de nomination
La nomination par le CSA du président du directoire ne doit pas donner lieu à avis préalable du président du Conseil de surveillance. La consultation du président d'un organe sur lequel le CSA exercera son contrôle, ne paraît pas compatible avec le principe d'indépendance de l'autorité de régulation.
En second lieu, le Conseil voit mal comment, en pratique, pourrait se concilier la procédure de désignation par le CSA qui est susceptible de donner lieu à plusieurs votes du collège portant sur plusieurs candidats, et la consultation d'une autorité extérieure au Conseil.
Il est par ailleurs important que le président du directoire ait toute latitude pour choisir l'ensemble de son équipe. Le Conseil propose ainsi que les directeurs généraux soient nommés par le seul président du directoire.
S'agissant de la procédure de révocation du président du directoire de France Télévision, tout en approuvant le principe de la concertation, le Conseil estime que l'avis du Conseil de surveillance dans son ensemble serait préférable à l'avis de son seul président, y compris lorsque le CSA est à l'origine de cette procédure.
Enfin, il serait souhaitable d'unifier le mode de désignation des présidents des sociétés nationales de programme : la nomination du président de RFI devrait, à l'instar de celle des présidents de RFO et Radio France, intervenir parmi les personnalités désignées par le CSA.
Le CSA souhaite que soit requis son avis sur les statuts des sociétés.
3/ Dispositions transitoires
Le Conseil considère que doivent être précisées les dispositions transitoires entre l'entrée en vigueur de la loi et la mise en place de ces nouvelles structures.
L'article 7 du projet de loi pourrait également prévoir que le mandat des présidents dont la nomination est intervenue après le 1er novembre 1998 soit porté à cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi.
B/ Sur le périmètre du groupe
Le Conseil considère que le périmètre du nouveau groupe France Télévision devrait être étendu à RFO. Cette chaîne serait renforcée par son appartenance au holding, alors qu'elle encourrait des risques de marginalisation si elle en était exclue.
En toute hypothèse, la cession à titre gratuit par TF1 de ses programmes à RFO, telle que prévue à l'article 62 de la loi, ne se justifie plus, du fait notamment de l'émergence des télévisions locales outre-mer.
C/ Sur les ressources des chaînes publiques
1/ Contrats d'objectifs
Le Conseil approuve la volonté du gouvernement d'instaurer des contrats d'objectifs et de moyens déterminant notamment les axes prioritaires de développement des sociétés, le coût prévisionnel annuel de leurs activités et les indicateurs quantitatifs et qualitatifs d'exécution et de résultat qui leur sont affectés.
Le Conseil souhaite cependant que les objets respectifs des contrats d'objectifs d'une part, et des cahiers des missions et des charges d'autre part, soient clairement et précisément définis. Les contrôles respectivement exercés par le conseil de surveillance et par le CSA doivent porter sur des obligations et des documents distincts.
Les obligations portant sur les programmes doivent rester du domaine des cahiers des charges des chaînes afin de pouvoir être contrôlées par le CSA.
2/ Mode de financement
Le Conseil approuve pleinement la volonté du gouvernement d'affecter l'ensemble des ressources publiques au holding, à charge pour le directoire de les répartir entre les différentes filiales, permettant une véritable gestion de groupe.
Le Conseil approuve également la réduction substantielle de la place consacrée à la publicité à l'antenne, réaffirmant ainsi la nature majoritairement publique du financement de France Télévision. Toute baisse des recettes publicitaires doit cependant être compensée par une augmentation des fonds publics et en particulier du produit de la redevance, qui offre l'avantage de garantir à ses bénéficiaires une ressource pérenne, stable et prévisible, et ce d'autant que sa progression sera fixée dans le cadre d'un contrat d'objectifs pluriannuel. En outre, il convient que le financement des nouveaux programmes diffusés en lieu et place des messages publicitaires soit assuré et que France Télévision puisse affirmer sa position sur le marché des droits de diffusion face à des concurrents privés renforcés par la hausse de leurs chiffres d'affaires publicitaires.
Par ailleurs, les dotations budgétaires ne sont traditionnellement pas comprises dans le chiffre d'affaires des chaînes publiques, qui sert d'assiette au calcul de leurs obligations de production. La réduction des ressources publicitaires et sa compensation sous forme de dotations budgétaires risque donc de se traduire, mathématiquement, par une diminution de ces obligations de production. Il faut donc prévoir à l'avenir d'inclure les dotations budgétaires dans l'assiette des obligations de production des chaînes publiques.
Enfin, sur la limitation de la durée des écrans publicitaires à cinq minutes, il convient de préciser le mode de calcul de ce volume horaire (heures glissantes).
D/ Sur l'INA
Le Conseil souhaite être amené à rendre un avis lors de l'adoption du statut et du cahier des charges de l'INA.
La rédaction du quatrième alinéa de l'article 4 du projet de loi doit être clarifiée s'agissant du droit d'exploitation des archives par l'INA : la rédaction proposée pourrait laisser supposer que ce droit lui est reconnu pour une période d'un an, alors que cette période d'un an vise au contraire le délai à partir duquel l'INA peut exercer son droit d'exploitation.
II - Sur la transposition de la directive Télévision sans frontières
Le Conseil approuve pleinement la décision du gouvernement de transposer les dispositions suivantes de la directive 89/555/CEE du 3 octobre 1989 modifiée par la directive 97/36/CE du 19 juin 1997 relatives à la Télévision sans frontières.
1/ Evénements majeurs
La garantie pour le téléspectateur de ne pas être privé de la possibilité de suivre des événements d'importance majeure, notamment sportifs, constitue un élément essentiel du droit à l'information du public. Le système de reconnaissance mutuelle introduit par la directive Télévision sans frontières de juin 1997 garantit l'exercice de ce droit à l'échelle européenne.
A l'occasion de cette transposition, le Conseil souhaite que plusieurs clarifications soient apportées. La méthode retenue pour déterminer la liste des événements d'importance majeure doit être modifiée. L'objectif poursuivi est en effet double : adopter une procédure transparente, contradictoire et souple, tout en garantissant aux opérateurs une sécurité juridique dans l'acquisition des droits de diffusion.
Dans cet esprit, le Conseil estime que le décret prévu doit être adopté après avis du CSA. La loi fixant les objectifs, ce texte doit définir les critères d'élaboration de la liste. Il doit aussi aménager une méthode souple de résolution des litiges par le CSA, en particulier s'agissant des modalités de cession des droits acquis par les opérateurs. Le décret doit prévoir que la liste elle-même soit mise au point par arrêté conjoint des ministres chargés de la communication et du sport, après avis conforme du CSA.
2/ Régime déclaratif
Concernant la déclaration des chaînes européennes préalablement à leur redistribution sur les réseaux câblés français, le Conseil souhaite être consulté pour avis sur le décret fixant cette procédure qu'il applique depuis plus d'un an.
Il va de soi que la procédure de déclaration préalable ne saurait concerner la diffusion par voie hertzienne de chaînes européennes dans la mesure où l'utilisation privative de fréquences appartenant au domaine public de l'État nécessite une procédure d'autorisation préalable éventuellement après appel aux candidatures. Le texte pourrait être précisé à cet égard.
3/ Protection des mineurs
Le Conseil souhaite que le dispositif introduit en faveur de la protection des mineurs soit complété par la prise en compte de l'action du Conseil en la matière. L'article 15 de la loi de 1986 pourrait ainsi préciser que cette mission du Conseil se traduit notamment par la mise en place d'une classification des programmes et d'une signalétique.
4/ Régime satellitaire
Dans un souci de conformité au droit communautaire, le Conseil approuve l'abrogation des troisième et quatrième alinéas de l'article 31 de la loi du 30 septembre 1986.
Le Conseil tient cependant à attirer l'attention du gouvernement sur l'urgence de l'adoption d'un régime satellitaire en France. C'est ainsi que le vide juridique datant de 1989 peut aisément être comblé à l'occasion de ce projet de loi par une extension du décret "câble" n92-882 du 1er septembre 1992 aux chaînes diffusées par satellite sur des fréquences non affectées au Conseil supérieur de l'audiovisuel en application de l'article 24 de la loi de 1986.
La lettre accompagnant l'avis du Conseil
"Madame la ministre,
[...] Concernant le projet, le Conseil s'inquiète particulièrement des conséquences négatives que pourrait avoir la création d'un Conseil de surveillance, en relevant principalement deux risques importants :
* Tout d'abord, l'apparition d'une rivalité préjudiciable au fonctionnement des chaînes entre deux légitimités : celle du président du directoire, nommé par le CSA, et celle du président du Conseil de surveillance, dont la désignation sera largement le fait de l'État.
* En second lieu, une possibilité de confusion entre les missions respectives du Conseil de surveillance, qui suivra notamment l'exécution des contrats d'objectifs, et du Conseil supérieur de l'audiovisuel, dont le contrôle s'exerce plus particulièrement sur l'exécution des cahiers des charges. Cette distinction risque à l'usage d'être difficile à maintenir.
Pour ce qui concerne la mise en oeuvre de la réforme projetée, le Conseil est préoccupé par le déroulement de la période transitoire qui s'écoulera jusqu'à l'entrée en vigueur des nouvelles structures, particulièrement si celle-ci doit suivre la nomination par le Conseil du prochain président de France Télévision, le mandat de l'actuel président venant à échéance le 1er juin 1999. Pour préparer dans les meilleures conditions cette profonde évolution des sociétés concernées, il serait souhaitable que le prochain président nommé par le Conseil soit le premier président du directoire de la nouvelle société holding et que cette disposition particulière figure dans la loi.
Enfin le Conseil a pris acte de la volontaire limitation de l'objet du projet de loi, qui ne concerne que l'audiovisuel public et la transposition d'une partie de la directive Télévision sans frontières. Il tient cependant à appeler votre attention sur l'urgence que revêt à ses yeux la modification de certains textes législatifs ou réglementaires actuellement en vigueur. Concernant les quotas de chansons francophones, un premier bilan permet aujourd'hui d'apprécier les effets de la loi, mais aussi ses limites sous sa forme actuelle. Le Conseil estime indispensable de disposer d'un pouvoir de modulation de ces quotas, en fonction du format de chaque radio, et notamment de la part qu'elle accorde aux nouveaux talents.
Pour une meilleure régulation du paysage radiophonique, qui doit pouvoir évoluer dans le respect des critères fixés par le législateur, les textes existants devraient être modifiés sur trois points : procédure des appels à candidatures, reconduction automatique des autorisations, changements de catégories en cours d'autorisation.
De plus, le Conseil souhaite que la loi lui permette de préserver les possibilités de développement des technologies nouvelles, et en particulier de la diffusion numérique terrestre.
Le Conseil vous fera rapidement des propositions de modifications législatives ou réglementaires sur ces différents points.
Enfin, le Conseil vous rappelle qu'il s'est prononcé contre l'exclusivité de la reprise des chaînes publiques sur le bouquet TPS diffusé par satellite [...]".