Saisi pour avis, par lettre du 28 novembre 2002 du ministre de la Culture et de la Communication, sur le projet de loi pour la confiance et la sécurité dans l'économie numérique, le Conseil supérieur de l'audiovisuel formule les observations suivantes, qui portent essentiellement sur le régime juridique des services de communication en ligne et sur les "systèmes satellitaires".
I - LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX SERVICES DE COMMUNICATION PUBLIQUE EN LIGNE
Le Conseil rappelle que la convergence des services et des réseaux doit inciter le législateur à tendre vers la neutralité technologique et donc vers l'égalité de traitement entre des services au contenu similaire accessibles sur des supports différents.
Toutefois, le principe de neutralité technologique doit être tempéré en fonction de différents critères justifiant que différents niveaux d'obligation soient prévus et tenant notamment à la rareté de la ressource (capacités limitées de transport de services sur les réseaux de diffusion hertziens et câblés), à l'impact relatif des services en fonction du support emprunté ou au degré variable d'intervention de l'utilisateur pour son accès aux services et pour une éventuelle personnalisation de leurs contenus.
L'évolution technologique aurait justifié un aménagement plus radical de la législation, qui remette en cause l'architecture actuelle de la loi du 30 septembre 1986 (fondée sur une régulation par support) et qui fixe des régimes spécifiques pour les services s'apparentant à des services de radio et de télévision, quel que soit le support emprunté.
Le Conseil regrette que telle ne soit pas l'approche retenue dans le projet de loi pour la confiance et la sécurité dans l'économie numérique, qui se limite à des aménagements partiels et qui laisse en l'état d'importantes disparités de régimes juridiques entre des services de même nature.
Article 1er : définition de la communication publique en ligne
Le projet de loi introduit à l'article 2 de la loi de 1986 une définition de la communication publique en ligne, qui apparaît comme un sous-ensemble de la communication audiovisuelle.
Le Conseil juge satisfaisante cette définition dans son principe, dans la mesure où elle ne remet pas en cause le rattachement au droit de la communication audiovisuelle de services tels que les sites web. Ce rattachement témoigne de ce que, au delà des différences d'utilisation, qui justifient des régimes juridiques et des modes de régulation distincts, l'ensemble des services mis à disposition du public recouvrent les mêmes enjeux de contenus, notamment au regard de la formation des idées et de l'accès au savoir et à la culture, et doivent veiller au respect des mêmes principes (pluralisme, protection des mineurs, respect de la dignité de la personne, respect de la vie privée, etc.). Cette inclusion dans la communication audiovisuelle reste néanmoins très théorique dans la mesure où l'article 2 du projet de loi conduit à construire un régime juridique spécifique qui soustrait les services de communication publique en ligne aux principes généraux du droit de la communication audiovisuelle.
C'est pourquoi le Conseil estime que la fixation de régimes appropriés à chaque type de service, dans une perspective de neutralité technologique et dans le souci de préserver l'égalité de traitement entre services de même nature, devrait passer par une définition claire, figurant dans la loi, des critères permettant de qualifier un service de télévision ou de radiodiffusion sonore, quel que soit son support. Pour la communication publique en ligne, cette définition devrait pouvoir s'appliquer aussi bien à la reprise en transmission intégrale et simultanée de services de radio et de télévision diffusés sur d'autres supports qu'à la diffusion de services originaux assimilables pour le public à de tels services, et ce quelles que soient les modalités techniques de l'accès à ces services, téléchargement ou accès immédiat en flux continu (streaming).
Telle n'est pas l'approche retenue dans le projet de loi, qui conforte une grande disparité de régimes entre les services de radio et de télévision et services assimilables, selon leur mode de diffusion (voie hertzienne terrestre ; câble et satellite ; internet). Il crée ainsi un risque de distorsion de concurrence et de contournement des obligations relatives au contenu par une migration vers le support le moins contraignant et peut à moyen terme ouvrir la voie à une dérégulation plus radicale des médias traditionnels.
Compte tenu de l'importance des enjeux en cause et du risque réel de remise en cause des principes fondamentaux du droit de l'audiovisuel, le Conseil supérieur de l'audiovisuel juge donc indispensable la fixation d'une définition spécifique et d'un cadre juridique minimal applicables à l'ensemble des services en ligne dont le contenu peut être assimilable pour le public à celui de services de radio et de télévision.
Article 2 : rôle du CSA à l'égard des services en ligne
Le projet de loi précise (article 43-6-1 de la loi de 1986, introduit par l'article 2 du projet de loi) que sont applicables aux services de communication publique en ligne les dispositions du chapitre de la loi de 1986 qui leur est consacré, "ainsi que les articles 17 et 41-4" qui traitent de la concurrence et de la concentration dans le secteur audiovisuel.
Cette dernière précision ne peut être interprétée que comme restreignant, pour la communication publique en ligne, les compétences dont le Conseil dispose actuellement sur l'ensemble des services de communication audiovisuelle.
En effet, dès lors que sont visés expressément, pour les services de communication publique en ligne, les seuls articles 17 et 41-4, on en déduit a contrario que ne leur seraient plus applicables :
- ni l'article 1er, qui permet notamment au CSA d'adresser des recommandations aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et qui fixe les principes et objectifs qui justifient qu'il soit porté atteinte à la liberté de communication ;
- ni l'article 15, sur la protection de la jeunesse, dont le premier alinéa s'applique à l'ensemble des services de communication audiovisuelle.
La rédaction retenue apparaît ainsi source d'ambiguïté et mériterait d'être clarifiée. Le Conseil considère que ces deux articles 1er et 15, qui ont une vocation très générale et visent à assurer un haut niveau de protection d'objectifs d'intérêt général, devraient s'appliquer aux services de communication publique en ligne qui sont assimilables pour le public à des services de radio et de télévision. Il estime notamment avoir une légitimité particulière en matière de protection de l'enfance et de l'adolescence et de respect de la dignité de la personne, qui justifierait qu'il puisse adresser à ce sujet des recommandations aux éditeurs de services de communication publique en ligne. De telles recommandations pourraient notamment favoriser une utilisation optimale des dispositifs de filtrage prévus à l'article 43-7 de la loi du 30 septembre 1986.
Devant les perspectives de développement bientôt offertes aux services de télévision sur l'Internet à haut débit, le CSA relève les inconvénients d'une absence totale de régulation des contenus diffusés sur l'Internet, notamment pour ce qui concerne le respect des principes rappelés à l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 (respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ; nécessité de développer une industrie nationale de production audiovisuelle).
Cette situation, dont il a déjà été relevé qu'elle était source d'inégalité de traitement et qu'elle pouvait favoriser des stratégies de contournement, rejaillit d'ailleurs sur la régulation des services de radio et de télévision. Ainsi, la facilité d'accès des mineurs à des programmes préjudiciables aux mineurs sur internet est parfois invoquée pour contester les restrictions à la diffusion de tels programmes à la télévision, où ils sont pourtant encadrés par des interdits horaires et par un recours au double verrouillage en cours de renforcement.
Le CSA relève, à cet égard, que la directive "commerce électronique" promeut certes l'autorégulation des services de la société de l'information, mais selon des modalités qui n'excluent pas d'accorder aux autorités publiques des Etats membres un rôle d'impulsion et d'encadrement dans ce domaine.
Il lui semble donc tout à fait possible, à l'occasion de la transposition de cette directive, de confier au régulateur, à l'égard des contenus préjudiciables ou illicites, une mission pouvant aller de l'encadrement de l'autorégulation à la régulation directe, notamment sous forme de recommandations. Cela permettrait ainsi au CSA de jouer un rôle d'impulsion et d'encourager la production de codes de bonne conduite dans les domaines pour lesquels la directive "commerce électronique" et la recommandation du 24 septembre 1998 (1) encouragent les Etats membres à prendre ce genre d'initiative.
Le Conseil est néanmoins conscient des limites et des difficultés de mise en oeuvre d'un système national de régulation à l'égard d'un mode de communication qui ignore les frontières nationales.
Pour les articles 17 et 41-4, le Conseil estime sur le fond que leur application aux services de communication publique en ligne est tout à fait adaptée pour faire face aux éventuels risques de pratiques restrictives de la concurrence ou de pratiques anticoncurrentielles. La mise en oeuvre de stratégies de concentration peut en effet entraîner des effets de distorsion de concurrence dans l'accès aux contenus ou dans l'accès aux clients pour les services distribués sur les réseaux numériques. Le respect du principe du pluralisme, posé par l'article 1er de la loi de 1986, passe également par une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseaux et entre les éditeurs de services en ligne.
Article 10 : publicité en ligne
Le CSA approuve le rétablissement de l'obligation de présenter comme telle la publicité, tout en étant conscient que sa mise en oeuvre concrète sur les sites web risque de souffrir de difficultés et que sa portée est limitée par l'absence de sanctions pénales (alors que de telles sanctions existent pour la presse écrite).
II - LES "SYSTEMES SATELLITAIRES"
Le projet de loi, en ses articles 35 à 37, fixe le régime applicable aux systèmes satellitaires et les soumet notamment à autorisation du ministre chargé des télécommunications.
Ces infrastructures de télécommunications pourront, a priori, être utilisées indifféremment pour des services de télécommunications et pour des services de communication audiovisuelle et elles pourront concerner des fréquences satellitaires affectées aussi bien aux télécommunications qu'à la radiodiffusion. Le CSA, qui est garant de l'exercice de la liberté de communication, estime qu'il doit être associé à la procédure d'autorisation dès lors que seront concernées des fréquences satellitaires afférentes à la radiodiffusion sonore et à la télévision par satellite. Il note, dans le seul exposé des motifs, une description de la procédure d'autorisation qui comporte une consultation des autorités affectataires par l'Agence nationale des fréquences. Il estime nécessaire que le principe d'un avis conforme du CSA soit posé dans le dispositif même du projet de loi, dans les cas où cette procédure d'autorisation a un impact sur les modalités d'exercice de la liberté de communication.
(1) Recommandation du conseil du 24 septembre 1998 concernant le développement de la compétitivité de l'industrie européenne des services audiovisuels et d'information par la promotion de cadres nationaux visant à assurer un niveau comparable et efficace de protection des mineurs et de la dignité humaine.