Sommaire
- Fiche ressource : Missions de l'Arcom et obligations des médias audiovisuels.
- Fiche pédagogique 1: Le respect des droits et des libertés dans les programmes.
- Fiche pédagogique 2 : La liberté d'expression et les réseaux sociaux, nouveau champ de régulation.
Quels sont les enjeux ?
La liberté d'expression, c'est-à-dire le droit d'exprimer librement ses opinions, fait partie des libertés fondamentales, piliers de notre démocratie. Sa garantie et son respect favorisent l’émergence d'une société ouverte, tolérante et respectueuse de l’état de droit.
Un droit fondamental et garanti à l'échelle européenne ...
En France, c’est l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 août 1789, qui a conféré une existence juridique à la liberté d’expression : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. ».
Consacré par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et repris par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne du 7 décembre 2000 dans son 11e article, la liberté d’expression est un droit supranational qui s’impose aux Etats membres et signataires.
La liberté d’expression est non seulement garantie pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population (cf. arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, & 49).
… mais pas une liberté absolue
Pourtant, cette liberté d’exprimer librement ses idées n'est pas une liberté absolue et certaines limites s'imposent à son exercice. Des restrictions, pour des motifs précis, sont prévues par le droit et notamment le droit européen. Ainsi, toute incitation à la discrimination ou la violence ne peut être considérée comme l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression.
En droit européen, la liberté d’expression est notamment encadrée par les dispositions du second paragraphe de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales précité qui circonscrit son exercice et le soumet à « certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».
Par ailleurs, cet article se voit limiter par un autre article de la Convention, l’article 17, qui prévoit : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »
Cette disposition a pour but d’empêcher les personnes de tirer de la Convention un droit leur permettant de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention.
Sans liberté d’expression, il ne peut donc pas y avoir de démocratie. Elle est indispensable à la stabilité de la société puisqu'elle participe à la libre circulation des idées. La jurisprudence de la Cour européenne confère à la presse un statut particulier dans l’exercice des libertés. Selon la Cour européenne : « la presse joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement d’une démocratie ».
Toutefois, en raison de sa large diffusion, le secteur audiovisuel est réglementé par les Etats. Les services de l’expression audiovisuelle se doivent d’assurer la conciliation raisonnable entre l’intérêt du citoyen et la liberté d’expression et d’information.
La liberté de communication audiovisuelle, une liberté qui découle de la liberté de la presse
La liberté d’expression va de pair avec la liberté de la presse, car si « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme », tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans certains cas précis. Dès lors que chacun a le droit d’exprimer sa pensée, ses idées, ses croyances, il doit aussi avoir le droit d’être informé et de pouvoir diffuser des informations.
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit les libertés et responsabilités de la presse française. Elle impose un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. Son article 1er dispose que : « l’imprimerie et la librairie sont libres ».
La jurisprudence de la Cour européenne confère à la presse un statut particulier dans l’exercice des libertés. Selon elle, « la presse joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement d’une démocratie ».
Avec les progrès techniques est née la liberté de communication audiovisuelle. Cette liberté est celle des médias audiovisuels, mais aussi, et avant tout, celle des individus et donc du public.
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication audiovisuelle
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication qui confie à l'Arcom, autorité publique indépendante, le soin de garantir la liberté de communication audiovisuelle et de veiller au respect, par l’ensemble des services de communication audiovisuelle relevant de sa compétence, des principes définis par la loi. Elle pose en effet pour premier principe que la communication audiovisuelle est libre. Elle précise que : « l’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d'autres part, par la protection de l’enfance et de l’adolescence, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public [...] ».
Missions de l'Arcom et obligations des médias audiovisuels
La mission de l'Arcom est donc de garantir la liberté de communication qui est prévue par l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986. La liberté de communication s’entend par la liberté de communication du public. Il s’agit en réalité de garantir la libre opinion du public. Celle-ci ne peut être limitée que par exception, lorsque notamment les atteintes graves sont portées à certains principes essentiels.
L’article 1er qui pose le principe de la liberté de communication, énumère effectivement les différentes limites à cette liberté de communication. Si les principes fondamentaux figurent dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les obligations déontologiques sont essentiellement inscrites dans les conventions conclues avec les éditeurs privés et les cahiers des missions et des charges des éditeurs publics. L'Arcom exerce son action dans un cadre procédural précis mais à l’ère du numérique la régulation doit s’adapter.
La liberté de communication doit être conciliée avec certaines exigences.
Dominique Wolton est directeur de l'Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC), et de la revue Hermès du CNRS dont il est le fondateur. Parmi ses nombreux sujets de recherche, ses travaux sur les médias, l’information et la communication sont majeurs.
Intervention de Dominique Wolton.
Le cadre juridique qui s’impose aux médias audiovisuels en matière de respect des droits et libertés
Au regard de sa large diffusion, le secteur audiovisuel est réglementé. Une conciliation raisonnable doit être trouvée entre l’intérêt du citoyen et la liberté d’expression et d’information.
Des limites à la liberté de communication sont donc contenues dans l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986, dans plusieurs textes à valeur infra-législative ainsi dans les stipulations conventionnelles des éditeurs.
En effet, la loi impose à l'Arcom de conclure des conventions avec les éditeurs. Les conventions (signées par les éditeurs privés) et les cahiers des missions et des charges (conclus avec des éditeurs publics) comportent des dispositions claires en matière de déontologie des contenus.
Les limites sont les suivantes :
- Le respect de la personne humaine : le respect de la dignité de la personne humaine et de la liberté d’autrui conduit à interdire la diffusion d’émissions dans lesquelles la personne est rabaissée au rang d’objet. Les actes humiliants et dégradants, la complaisance dans l’évocation de la souffrance humaine, le non-respect des défunts, l'instrumentalisation du corps humain relèvent de ce domaine. L'Arcom lutte contre les discriminations, contre l’incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité. L'Arcom contribue au respect des droits de la personne relatifs à sa vie privée, son image, son honneur et sa réputation, tels qu'ils sont définis par la loi et la jurisprudence, ce qui interdit notamment l’injure et la diffamation. Lorsqu’il est saisi de plaintes des intéressés, l'Arcom peut intervenir pour protéger leurs droits personnels.
- La sauvegarde de l’ordre public : cela implique : d’interdire l’incitation aux pratiques dangereuses, délinquantes ou inciviques ; de veiller à ne pas entraver les enquêtes en cours ou le travail des forces de l’ordre ; de lutter contre le racisme et l’antisémitisme (notamment en assurant la maîtrise de l’antenne). La santé publique est une composante de l’ordre public. L'Arcom a pour mission de veiller au respect des dispositions du Code de la santé publique. Il a ainsi adopté en 2008 une délibération réglementant l’exposition des drogues illicites, du tabac et des boissons alcooliques. Toute image incitant à la consommation de ces produits ou les valorisant est interdite.
- L’indépendance de l’information : l'Arcom veille à ce que les éditeurs fournissent une information « indépendante » de toute pression financière ainsi que des intérêts économiques des actionnaires et des annonceurs des groupes audiovisuels. La délibération du 18 avril 2018 de l'Arcom relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent fixe un certain nombre de principes déontologiques. S’agissant de l’indépendance, la délibération prévoit que « L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à ce que les émissions d’information et les programmes qui y concourent soient réalisés dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses annonceurs ». Les autres grands principes y figurant sont l’impératif d’honnêteté, l’exigence de rigueur et enfin, le respect de la présomption d’innocence en cas de traitement des procédures judiciaires en cours.
- L’impératif d’honnêteté : l’article 1er de la délibération précitée dispose que : « L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent. Il veille à éviter toute confusion entre information et divertissement. Pour ses émissions d’information politique et générale, l’éditeur fait appel à des journalistes […] ». Ce principe nécessite : que la chaîne vérifie le bien-fondé et les sources d’information et, dans la mesure du possible, que son origine soit indiquée ; que l’information incertaine soit présentée au conditionnel ; qu’un point de vue équilibré soit retenu dans la relation des événements (permettre aux thèses en présence de s’exprimer) ; et enfin, que le public soit informé des moyens utilisés pour recueillir l’information (caméras cachées etc.) ;
- L’exigence de rigueur : l’article 1er prévoit également que : « L’éditeur garantit le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, l’origine de celle-ci doit être indiquée. L’information incertaine est présentée au conditionnel. Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. Il veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne ». Cette exigence de rigueur implique de : situer l’information dans son contexte (le recours à des images d’archives doit être annoncé par incrustation, une reconstitution ou une scénarisation de faits réels ou supposés doivent être présentées comme telles, etc.) ; d’utiliser des images en adéquation avec les propos qu’elles illustrent (quand il est procédé à un montage d’images ou de sons, celui-ci ne peut déformer le sens initial des propos ou des images recueillis, ni abuser le téléspectateur); d’éviter toute confusion entre l’information et le divertissement. Pour les programmes d’information, la société fait appel à des journalistes professionnels. L’éditeur doit vérifier le bien-fondé et les sources de l’information qu’il utilisera.
Cadre procédural
- Un fonctionnement collégial et contradictoire :
Le fonctionnement est collégial, puisque les orientations adoptées en groupe de travail sont examinées devant le collège plénier. Ensuite, il est contradictoire, puisque, depuis le renouvellement du collège en janvier 2013 et alors même que cela n’est pas imposé par les textes, l'Arcom veille à ce que le groupe de travail recueille les observations de la chaîne ou de la radio visée quand il envisage une intervention et procède le cas échéant à son audition. Lors desdites auditions, l’éditeur est parfois accompagné de la société de production ayant produit le reportage ou l’émission. Cette procédure contradictoire conduit à l’adoption de décisions éclairées et équilibrées par le collège, jouant parfois un rôle pédagogique dans les relations entre l’éditeur et la société de production ou les journalistes.
- La gradation des moyens d’intervention :
Une intervention a posteriori : La régulation opérée par l'Arcom intervient toujours après diffusion, restant ainsi conforme aux exigences de la liberté de communication. L’action de l'Arcom se fonde sur une obligation commune à tous les éditeurs : celle de la maîtrise de l’antenne. L’éditeur est responsable de ce qu’il diffuse et doit se porter garant des propos tenus à l’antenne. Lorsqu’un manquement dû à un défaut de maîtrise de l’antenne est constaté, l'Arcom prend en compte le genre de l’émission et les conditions de sa diffusion avant de statuer. En effet, la gravité du manquement sera appréciée différemment s’il s’agit d’un programme à caractère humoristique, informatif, d’une fiction ou d’une émission de libre antenne. De même, l’appréciation de l'Arcom tient compte des conditions de diffusion du programme (direct ou différé). Lorsque des propos contraires à la déontologie sont tenus lors d’une émission en direct, l’animateur doit intervenir rapidement, en interrompant le locuteur ou en condamnant ses propos. Lorsque l’émission est diffusée en différé, de tels propos ne devraient pas être tenus.
Une intervention discutée : lorsqu’un manquement est constaté, l'Arcom procède souvent, avant toute intervention formelle, à l’audition de l’éditeur concerné pour mieux cerner les conditions dans lesquelles le manquement est survenu, et pour définir si une action de l'Arcom doit être envisagée. Elle auditionne également des associations sur des sujets de réflexion communs.
Des moyens d’action divers : lorsque l'Arcom constate des manquements manifestes à la déontologie, elle dispose de plusieurs moyens pour agir. Ils sont divers et proportionnés aux manquements constatés : l'Arcom adresse souvent des lettres aux diffuseurs : soit une lettre à vocation informative ou de rappel de la réglementation, soit une lettre de mise en garde constatant un manquement avéré dont la réitération pourrait entraîner une mise en demeure.
L'Arcom peut aussi décider d’utiliser les procédures légales.
- la mise en demeure à valeur d’avertissement et/ou à vocation pédagogique lorsqu’une atteinte caractérisée aux obligations de l’éditeur est constatée ;
- l’ouverture d’une procédure de sanction en cas de réitération d’un manquement de même nature que celui ayant fait l’objet d’une mise en demeure (sur proposition d’un rapporteur indépendant nommé par le Vice-président du Conseil d’Etat après avis de l'Arcom) ;
- la notification à l’éditeur et la publication de la sanction.
Les différentes sanctions sont les suivantes :
- la suspension de l’édition, de la diffusion, de la distribution du ou des services d’une catégorie de programme, d’une partie du programme ou d’une ou plusieurs séquences publicitaires pour un mois ou plus ;
- la réduction de la durée de l'autorisation ou de la convention dans la limite d’une année ;
- une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme ;
- le retrait de l'autorisation ou la résiliation unilatérale de la convention peuvent être envisagés.
Dans tous les cas de manquement aux obligations incombant aux éditeurs de services de communication audiovisuelle, l'Arcom peut ordonner l'insertion dans les programmes d'un communiqué dont il fixe les termes et les conditions de diffusion.
Le régulateur et les médias audiovisuels doivent s’adapter à l’heure d’internet et des réseaux sociaux
Les possibilités qu’offrent les technologies numériques à l’individu et aux entreprises de médias en termes d’expression, de liberté et de création peuvent avoir des implications sur la fabrication des contenus, et notamment de l’information, qui viennent questionner, voire bouleverser les pratiques existantes de régulation en matière de déontologie.
La multiplication des sources disponibles : Internet rend accessible facilement et rapidement un très grand nombre d’informations à l’échelle mondiale et constitue en cela une véritable richesse pour la circulation et la transmission de l’information. Ce foisonnement d’informations comporte toutefois certains risques pour la fabrication de contenus, sur internet comme sur les médias audiovisuels « traditionnels ». En effet, il rend plus complexe la vérification de l’origine et de la véracité des sources, exigences fondamentales de l’éthique journalistique reprise dans les conventions des opérateurs (obligation d’honnêteté et, pour certains, de rigueur de l’information). En outre, les technologies numériques ont amplifié un risque préexistant : celui du « trucage » des sources, et notamment des images, avec des techniques de modification plus simples d’accès et d’utilisation. En-deçà de cas de tromperies volontaires, il existe également une multiplication des risques d’erreurs dans l’identification et l’interprétation des sources (ex : confusion entre les images de différents événements conduisant à une illustration erronée d’une information). L'Arcom travaille depuis 2010 à sensibiliser les opérateurs audiovisuels à la nécessaire prise en compte de ces risques lorsqu’ils utilisent des sources issues d’internet.
La participation des individus à l’élaboration des contenus : Les possibilités d’intervention et de dialogue offertes aux individus par internet permettent au plus grand nombre de s’exprimer. Cela permet à chacun d’exercer sa citoyenneté et notamment d’apporter sa pierre à l’information du public. La pratique du « journalisme amateur » est donc rendue possible par internet. Elle est d’ailleurs réutilisée par les médias audiovisuels eux-mêmes, à travers les pratiques consistant à appeler le public à participer à l’élaboration des programmes de certaines chaînes, et notamment des journaux d’information, en envoyant avis et témoignages.
Ces évolutions posent plusieurs questions théoriques, notamment pour la profession elle-même :
- Le journalisme est-il nécessairement une affaire de professionnels ou peut-il être pratiqué par chaque citoyen ?
- Dès lors que des contenus d’information et d’opinion peuvent être fabriqués et diffusés par des outils accessibles à tous (téléphone portable, réseaux sociaux, blog), quels critères marquent la frontière entre journalisme professionnel et journalisme amateur ?
Sur le plan de la pratique journalistique, le fait que chacun puisse transmettre des informations et des points de vue pose la question déontologique de la responsabilité éditoriale : le particulier n’a pas forcément une connaissance pointue de certaines règles applicables à tous (ex : interdiction des discriminations et de l’appel à la haine, respect de la présomption d’innocence, de la dignité humaine), et, plus spécifiquement, n’est pas soumis au respect des règles spécifiques d’un code déontologique professionnel (exemples : vérification des sources, rigueur de l’information).
La modification de la temporalité des contenus
Sur internet, le rapport temporel de l’émetteur et du récepteur de contenus diffère de celui qui existe par le biais de la télévision ou de la radio diffusées de façon linéaire.
La publication d’informations et leur modification sont beaucoup plus rapides et instantanées. Ceci implique un recul potentiellement moindre sur la mise à disposition d’un contenu. De plus, cette rapidité peut parfois constituer une source de déséquilibre en matière d’accès à l’information, les médias audiovisuels linéaires étant tentés de suivre un rythme accéléré pour rivaliser avec des médias en ligne (ex : reprise de déclarations, d’informations, de rumeurs circulant sur les réseaux sociaux), avec un risque accru de ne pas prendre le temps de vérifier la fiabilité de l’information. En outre, la durée de vie d’un contenu sur internet est fluctuante : il peut être supprimé très rapidement, ce qui a pour conséquence une moindre traçabilité, ou peut rester longtemps à disposition du public, ce qui aggrave les risques d’effets néfastes de contenus problématiques et peut nécessiter une intervention plus urgente.
Focus sur les dévoiements contemporains de la liberté d’expression : la manipulation de l’information et les discours de haine sur internet
On rappellera pour mémoire en premier lieu quelques éléments clés pour comprendre le contexte dans lequel s’ancre l’action des pouvoirs publics français et de l’Union européenne.
Propagation virale des fausses informations : Les fausses nouvelles et les opinions racistes et antisémites semblent avoir trouvé dans l’espace numérique leur terrain d’élection. La fluidité de la circulation de ces contenus mais plus encore la fragilité du cadre normatif régissant le fonctionnement de cet espace permettent, de fait, l’expression de tous les points de vue, y compris les plus vils et les moins authentiques. Matériellement, les fausses nouvelles et les opinions racistes ou antisémites semblent toutes deux puiser à la source d’une même idéologie. Celle-ci repose sur deux postulats : d’une part la vérité n’est pas là où elle est censée se trouver ; d’autre part, la vérité est cachée aux destinataires des informations que produisent les « médias mainstream », afin de protéger les intérêts d’une minorité fantasmée. M. Wievorka identifie ainsi « la culture contemporaine d’Internet et de l’interactivité, ouverte à la circulation immédiate et sans limite des idées et des opinions, et qui débouche sur les “fake news” et la post-vérité » comme l’un des ferments actuels de la prolifération d’opinions antisémites.
Intervention de Rudy Reichstadt sur le complotisme.
La confiance dans les médias.
- Essor inquiétant des discours de haine sur Internet : de quelles études dispose-t-on pour caractériser le phénomène de la haine en ligne ? Quels en sont les résultats ? Les chiffres permettant de mesurer le phénomène sont en perpétuelle évolution et les sources sont dispersées. Quelques données permettent toutefois d’apprécier l’ampleur et la complexité d’un phénomène en expansion. En 2017, le Laboratoire Société Numérique mis en place par le gouvernement rapportait que le site Pharos avait recueilli 153 000 signalements. Après une forte hausse enregistrée en 2015 (188 055 en 2015), essentiellement liée aux attentats qui ont frappé la France cette année-là, le nombre de contenus illicites sur Internet signalés à la plateforme Pharos a baissé en 2016 puis en 2017.
En février 2019, dans le cadre de la publication du rapport portant sur la quatrième évaluation de l’application du Code de conduite sur la lutte contre les discours de haine en ligne, la Commission européenne rapportait les données suivantes : selon les entreprises des technologies de l’information, 89% des contenus signalés dans les 24 heures et 72% des contenus considérés comme des discours de haine illégaux sont supprimés, contre respectivement 40% et 28% lors du lancement du code en 2016. Par ailleurs, selon les chiffres avancés par la Commission européenne dans le même rapport, les contenus censurés relèvent principalement de la xénophobie (17%), de la haine en raison de l’orientation sexuelle (16%), de la haine anti-musulman (13%), de la haine anti-Rom (12%) et de l’antisémitisme (10%).
Enfin, récemment, le quotidien Sud-Ouest rapportait les chiffres suivants :
- « Près de 1,3 million de contenus haineux ont été signalés à Twitter au cours des six derniers mois ;
- Facebook a pris des mesures à l’égard de 2,9 millions de contenus au troisième trimestre de 2018, contre 2,5 au premier et au deuxième trimestre de la même année et 1,8 million au dernier trimestre de 2017 ;
- YouTube, au dernier trimestre 2018, a supprimé près de 16 600 chaînes et 49 600 vidéos incitant à la violence ou à l’extrémisme violent, auxquelles il faut ajouter les 253 700 vidéos violentes et les 18 950 vidéos avec des contenus offensants ou haineux retirées, des chiffres en nette augmentation. »
Nonobstant la profusion de chiffres, le caractère épars et non centralisé de ces données milite en faveur de la création d’un observatoire de la haine en ligne. Un tel observatoire a été mis en place par l'Arcom le 8 juillet 2020 et il a pour mission d’analyser et de quantifier le phénomène de haine en ligne, d’en améliorer la compréhension des ressorts et des dynamiques, de favoriser le partage d’information et le retour d’expérience entre les parties prenantes.
Face à cette situation, quelle est la réponse des pouvoirs publics ?
- La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information : Cette loi qui vise à mieux protéger la démocratie contre les diverses formes de diffusion intentionnelle de fausses nouvelles, confère à l'Arcom de nouvelles missions. La notion de « fausse nouvelle » figure déjà dans le droit français (l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l’article L. 97 du code électoral). Mais, en raison de l’interprétation stricte accordée aux cas d’espèce correspondant à la notion de fausse nouvelle, il a fallu adapter le cadre légal actuel afin de prendre en compte le phénomène inédit de « fausse information ». La nouvelle loi vient donc en complément pour renforcer un cadre jugé inadapté à l’environnement numérique actuel, où les infox se propagent de manière virale. A ce titre, deux catégories de missions sont prévues par la loi : à l’égard des services audiovisuels (1) et à celui des plateformes (2).
1. Pour les opérateurs audiovisuels (services de télévision ou de radio)
Il convient de distinguer deux phases, la période électorale et la période hors électorale.
- En période électorale :
L'Arcom peut suspendre pour une durée maximale ne pouvant excéder la tenue du scrutin, la diffusion, par tout distributeur, d’un service de télévision ou de radio contrôlé par un Etat étranger ou sous son influence, qui diffuse de manière délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin. La décision de l'Arcom est prise après une procédure contradictoire avec l’éditeur, dans un délai de 48 heures (article 6 de la loi).
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Hors période électorale :
- Le refus de conventionnement : l'Arcom peut aussi (art 5 de la loi du 22.12.18) rejeter une demande de conventionnement. Ce refus peut, quelle que soit l’identité du demandeur, intervenir en cas de risque grave d’atteinte à certains principes phares de la nation (fonctionnement régulier des institutions par exemple, ou lorsque la diffusion du service constituerait, eu égard à sa nature même, une violation des lois en vigueur). Lorsque cette demande émane d’une personne morale contrôlée ou sous influence d’un Etat étranger, l'Arcom peut statuer en tenant compte des contenus que le demandeur, ses filiales, la personne morale qui le contrôle ou les filiales de celle-ci éditent sur d’autres services.
- La résiliation de la convention : en dehors des périodes électorales (article 8 de la loi), l'Arcom peut, après mise en demeure, prononcer la résiliation unilatérale de la convention conclue avec une personne morale contrôlée par un Etat étranger ou placée sous son influence, si le service concerné porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (dont le fonctionnement régulier de ses institutions) par la diffusion de fausses informations (article 8 de la loi).
- L’élargissement des possibilités de saisine du président de la section du contentieux du Conseil d’Etat : enfin, sur le fondement de l’article 42-10 de la loi de 1986, l'Arcom peut adresser au Conseil d'Etat une demande visant à faire cesser la diffusion ou la distribution par un opérateur satellitaire ou par un distributeur de service de communication audiovisuelle, relevant de la compétence de la France et contrôlé par un Etat étranger ou placé sous son influence, si ce service porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (ex : fonctionnement régulier des institutions), notamment par la diffusion de fausses informations.
- Le renforcement de l’éducation aux médias et à l'information : la loi modifie le code de l’éducation afin de renforcer la formation des élèves et des étudiants à l’éducation aux médias, notamment sur internet et les plateformes s’agissant de la vérification des faits et de l’analyse critique de l’information. Enfin, les conventions conclues entre l'Arcom et les éditeurs peuvent porter sur les mesures pour l’éducation aux médias et à l’information.
2. Pour les plateformes
Distinguant entre les périodes électorales et les périodes hors élections, la loi crée de nouvelles obligations à la charge des opérateurs de plateforme (obligation de coopération et obligation de transparence renforcée), renforce les compétences de l'Arcom afin de s’assurer du respect de certaines de ces obligations, crée de nouvelles voies de droit devant le juge des référés afin de garantir la protection de la liberté d’expression et enfin promeut l’éducation aux médias et à l'information.
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L’obligation de coopération pour les plateformes en ligne : les plateformes comptant plus de 5 millions de visiteurs uniques en France par mois ont l’obligation de :
- Prendre des mesures contre la propagation des fausses informations : outils de signalement, transparence des algorithmes, information sur l’origine des contenus, valorisation des entreprises de presse et agence de communication dits fiables, renforcement de leurs dispositifs d’éducation aux médias et à l’information, etc. ;
- Communiquer sur ces mesures et sur leur coût ;
- Désigner un représentant légal en France ;
- Adresser une déclaration annuelle à l'Arcom concernant les actions et mesures entreprises par l’opérateur afin de se conformer aux obligations visées supra.
L'Arcom assure le suivi de la mise en œuvre de ces obligations et de leur efficacité et le rend public. Il peut adresser des recommandations aux plateformes (articles 11 et 12 de la loi).
Les obligations de transparence renforcée pour les plateformes en ligne (période électorale) : la loi a également créé une série d’obligations de transparence renforcée opposables aux opérateurs durant les périodes électorales. Durant les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin, les opérateurs sont tenus, au regard de l’intérêt général attaché à l’information des citoyens et à la sincérité du scrutin de fournir à l’utilisateur une information loyale, claire et transparente sur l’identité des personnes payant pour la promotion de ces contenus, sur les montant payés pour cette promotion, ainsi que sur l’utilisation des données personnelles des utilisateurs concernant la promotion de ces contenus (article 1 de la loi). Les plateformes ont l’obligation d’agréger ces informations dans un registre accessible, dans un format ouvert et régulièrement mis à jour (même article).
Le législateur a associé l'Arcom au contrôle du respect de ces nouvelles obligations par les plateformes. Il peut ainsi, en vertu de l’article 12 de la loi de 2018, prendre des recommandations à l’égard de ces nouveaux acteurs.
Intervention de Romain Badouard sur les infox.
La loi contre les contenus haineux sur Internet
Jusqu’à présent, l'Arcom n’était compétent que pour les médias linéaires dans la lutte contre les discours de haine. Face à la recrudescence des contenus haineux et racistes sur internet, la loi contre les contenus haineux sur Internet (dite « loi Avia ») adoptée par l'Assemblée nationale le 13 mai 2020, souhaitait confier à l'Arcom de nouvelles missions afin d’endiguer ce phénomène.
Toutefois, dans sa décision du 18 juin 2020, le Conseil constitutionnel censure ces dispositions et notamment celle qui obligeait les opérateurs de plateformes en ligne et les moteurs de recherche à retirer dans un délai de 24 heures, après notification par une ou plusieurs personnes, des contenus manifestement illicites tels que les incitations à la haine, les injures à caractère raciste ou antireligieuses. Pour les contenus terroristes ou pédopornographiques, le délai de retrait était réduit à une heure.
Le texte promulgué le 24 juin 2020 se limite désormais à la création d’un observatoire de la haine en ligne, chargé du suivi et de l’analyse de l’évolution des contenus haineux, en lien avec les opérateurs, associations et chercheurs concernés. L'observatoire est placé auprès de l'Arcom : il s’est réuni pour la première fois, le 23 juillet 2020.