Nous sommes des Européens. L’un est Français, l’autre Allemand, et nous œuvrons ensemble pour le respect des valeurs fondamentales européennes dans les médias audiovisuels. Ces valeurs démocratiques qui seront au cœur -rien de moins- de la négociation à venir du « Digital Services Act » (DSA).
De quoi s'agit-il ? D’un véritable défi. Avec le DSA, la Commission européenne va devoir organiser et actualiser les diverses réglementations européennes liées au numérique, avec la question centrale du degré de régulation nécessaire des plateformes de partage de contenus pour garantir nos libertés et nos droits dans une société démocratique.
Une régulation durable revient à rechercher le juste équilibre entre d’un côté, le principe cardinal de liberté et de l’autre, les limitations susceptibles de lui être apportées pour garantir l’intérêt général. Souhaitons-nous une liberté d'expression absolue ? Ou acceptons-nous de lui fixer des limites ? Ce débat est au centre des discussions réglementaires sur les enjeux transnationaux, la lutte contre les contenus haineux et la désinformation. Elle a également été au fondement de diverses initiatives législatives nationales, telles que la loi française sur la lutte contre la désinformation ou la loi allemande sur la haine en ligne (NetzDG).
Il revient aujourd’hui à l'Europe de résoudre cette tension et de proposer une réponse. Pourquoi? Parce que nous le pouvons, forts de l’héritage de notre histoire mouvementée et de notre attachement profond à cette valeur fondamentale qu’est la liberté. Ce que l’Europe peut apporter à la numérisation de la société, c’est l’idée d’une liberté fondée sur l’état de droit. Nous avons besoin de règles pour être libres.
S’agissant du futur cadre réglementaire, la priorité est d’avoir un objectif clair. Pour nous régulateurs, il s'agit avant tout de garantir la liberté d'expression, tout en protégeant la population contre les violations de la loi en ligne, telles que les atteintes à la dignité humaine, les menaces pesant sur les jeunes et les campagnes de désinformation.
Nous appuyant sur notre expérience, nous observons que l'indépendance des autorités de régulation des médias par rapport à l'État est bien plus importante que la structure, centrale ou fédérale, des autorités, et que la collaboration étroite et constructive des régulateurs au-delà des frontières nationales est d'une importance capitale.
Qui est responsable des contenus en ligne ?
Très légitimement, le cadre juridique actuel désigne les auteurs de contenus illégaux et préjudiciables comme premiers responsables. Toutefois, cette conception univoque de la responsabilité ne correspond plus à la réalité. Les médias sociaux ne sont en effet pas de simples canaux de diffusion. Ils ont plutôt la haute main sur la portée et la visibilité des contenus, ainsi que sur leur disparition, et in fine sur l'expression des opinions.
En outre, même si l'autorégulation par les plateformes elles-mêmes a permis quelques avancées, elle n’en demeure pas moins insuffisante.
C’est pourquoi, il est essentiel que les plateformes se voient contraintes de mettre en œuvre des mesures préventives et de coopérer.
La réglementation actuelle a plus de vingt ans. Si nous, régulateurs des médias, devons continuer à maintenir cet équilibre délicat entre les contenus illicites et la libre expression des opinions sur le long terme, il nous faut des outils plus adaptés aux réalités du temps. Tout en respectant l’équilibre et la répartition démocratique et institutionnelle des rôles, en particulier les prérogatives du juge, nous avons besoin de compétences claires pour accéder à l’information et intervenir de manière graduée.
A quoi ressemblerait une coopération transnationale efficace ?
Chacun d'entre nous est en mesure de faire respecter son droit national, mais que se passe-t-il si un contenu est considéré comme légal dans le pays où il a été créé ou d’où il provient, alors qu'il est illégal dans le pays auquel il est destiné ? La « smart régulation » peut nous offrir le cadre juridique dont nous avons besoin pour régler ces problèmes en appliquant une réponse graduée.
Néanmoins, comme toujours, le diable se cache dans les détails. Redistribuer les responsabilités sur internet et organiser les actions intergouvernementales demande beaucoup de doigté et d'efforts. L'Europe est une communauté de valeurs qui se développe en unissant les cultures, tout en donnant à chacun l'espace nécessaire au sein de la communauté. L'ERGA, réseau européen des régulateurs audiovisuels, fonctionne de la même manière. Il réunit des régulateurs indépendants et encourage leur coopération transnationale, tout en respectant les spécificités de chaque Etat. Ainsi, des règles plus claires et des responsabilités accrues pour les régulateurs européens des médias et pour l'ERGA seraient un gage d’accroissement immédiat d’efficacité. A contrario, croire que le problème pourrait être résolu par la simple création d'une autorité supranationale supplémentaire relève d’un dangereux romantisme réglementaire.
Pour être libre, nous avons besoin de règles simples et dénuées de toute ambiguïté. Elles devront établir une juste répartition des responsabilités, assurer la bonne coopération intergouvernementale et répondre aux attentes pressantes des opinions publiques, qui réclament, chaque jour davantage, une meilleure protection contre les discours de haine et les contenus préjudiciables.
Il est maintenant temps d’ouvrir cette discussion sur le cadre réglementaire applicable aux grands acteurs du numérique en Europe. Notre mission, en tant qu'autorités de régulation, n'est pas et ne saurait être de contrôler internet, ni d’agir comme des juges, mais de veiller à ce que les plateformes s’acquittent de leurs obligations de coopération et de transparence, qui seront fixées par la réglementation à venir.
Nous sommes aujourd’hui prêts à participer à ces discussions en gardant comme boussole ce que nous chérissons le plus : la liberté d'expression dans une Europe libre.
Tribune publiée dans les journaux Le Monde et Frankfurter Allgemeine Zeitung.