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Texte juridique

Projet de recommandation du 25 avril 2019 du Conseil supérieur de l’audiovisuel aux opérateurs de plateforme en ligne dans le cadre du devoir de coopération en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations

Publié le

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel,

Vu le code de la consommation, et notamment son article L.111-7 ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, notamment son article 17-2 ;

Vu la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;

Vu la loi n°2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information ;

Vu le décret n°2019-297 du 10 avril 2019 relatif aux obligations d’information des opérateurs de plateforme en ligne assurant la promotion de contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général ;

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée « lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne » du 26 avril 2018 ;

Vu le code de pratique sur la désinformation du 26 septembre 2018 ;

Vu la communication conjointe au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions intitulée « plan d’action contre la désinformation de l’Union européenne du 5 décembre 2018 » ;

Après en avoir délibéré,

La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information établit un ensemble de mesures visant à lutter contre la diffusion de fausses informations en période électorale et hors de celles-ci.

Le titre III de ce texte instaure un devoir de coopération en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations à la charge des opérateurs de plateforme en ligne mentionnés au premier alinéa de l'article L. 163-1 du code électoral. Sont concernés les opérateurs de plateforme en ligne au sens de l'article L. 111-7 du code de la consommation dont l'activité dépasse cinq millions de visiteurs uniques par mois, par plateforme, calculé sur la base de la dernière année civile.

L’article 11 de la loi du 22 décembre 2018 impose en particulier à ces opérateurs de prendre des mesures en vue de lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public ou d'altérer la sincérité d'un des scrutins mentionnés au premier alinéa de l'article 33-1-1 de la loi du 30 septembre 1986. Sont visées par ces dispositions l’élection du Président de la République, les élections générales des députés, l’élection des sénateurs, l’élection des représentants au Parlement européen et les consultations référendaires. A cet égard, l’article 11 précité dispose que les mesures ainsi prises, de même que les moyens que les opérateurs de plateforme en ligne y consacrent, sont rendus publics.

Aux termes de l’article 12 de cette même loi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut adresser à ces opérateurs de plateforme en ligne des recommandations visant à améliorer la lutte contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sincérité du scrutin.

La présente recommandation prend notamment en compte les initiatives de l’Union européenne en matière de lutte contre la dissémination de la désinformation :

  • la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée « lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne » du 26 avril 2018 ;
  • le code de pratique sur la désinformation du 26 septembre 2018 ;
  • la communication conjointe établissant le plan d’action contre la désinformation de l’Union européenne du 5 décembre 2018.

Ce texte s’inscrit dans une logique de responsabilisation des opérateurs de plateforme, dans l’objectif de construire une relation de confiance entre eux, les pouvoirs publics et la société civile. Il a vocation à être enrichi et adapté en fonction de l’évolution des enjeux liés à la manipulation de l’information et des remarques et propositions susceptibles d’être formulées par ses destinataires, mais aussi par l’ensemble des parties prenantes à la lutte contre la diffusion de fausses informations.

Le Conseil, garant de l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle par tout procédé de communication électronique, recommande aux opérateurs de plateforme en ligne de mettre en œuvre les mesures qui suivent et de déployer les moyens humains et techniques nécessaires en vue d’atteindre les objectifs fixés par la loi.

1. La mise en place d’un dispositif de signalement accessible et visible

Aux termes de la loi du 22 décembre 2018, les opérateurs de plateforme en ligne sont tenus de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à leurs utilisateurs de signaler de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public ou d'altérer la sincérité du scrutin, notamment lorsque celles-ci sont issues de contenus promus pour le compte d’un tiers.

Le Conseil considère que la facilité d’accès et la bonne visibilité de ce dispositif peuvent être assurées notamment lorsque les opérateurs de plateforme en ligne concernés :

  • a) utilisent un intitulé clair pour désigner le dispositif, par exemple en affichant clairement l’intitulé « signaler un contenu » ;
  • b) affichent le dispositif à proximité immédiate du contenu ou du compte susceptible d’être signalé.

Les opérateurs de plateforme en ligne concernés peuvent également contribuer à renforcer la facilité d’accès et la visibilité du dispositif, notamment en :

  • c) fournissant un outil de signalement commun à toutes les déclinaisons de leur service, quel que soit le mode d’accès au service proposé (site internet, application, etc.) et quel que soit le type de contenu signalé (vidéo, commentaire, compte, etc.) ;
  • d) favorisant les discussions entre les destinataires de la présente recommandation afin d’aboutir à une harmonisation de leur dispositif respectif de signalement ;
  • e) assurant la meilleure ergonomie possible du dispositif en prévoyant un parcours de signalement simple et logique. Ainsi, l’utilisateur devrait pouvoir accomplir la procédure de signalement en suivant tout au plus trois hyperliens ; l’ensemble des motifs de signalement (contenu haineux, fausses informations…) devrait apparaître dans une seule boîte de dialogue et celle-ci devrait être la même pour un service donné, quel que soit son mode d’accès ;
  • f) permettant aux utilisateurs de suivre le traitement de leurs signalements afin d’en connaître l’état d’avancement et en l’informant dans les meilleurs délais des suites données au contenu signalé.

2. La transparence des algorithmes

Les utilisateurs doivent pouvoir exercer de manière éclairée leur esprit critique sur les contenus qui leur sont proposés par les plateformes en ligne. Ils doivent pouvoir accéder aux informations leur permettant de connaître et de comprendre les principes de fonctionnement des algorithmes qui régissent l’organisation, la sélection et l’ordonnancement de ces contenus.

A cette fin, le Conseil encourage les opérateurs à assurer à chaque utilisateur :

  • a) la traçabilité de ses données exploitées à des fins de recommandation et de hiérarchisation des contenus, qu’elles soient fournies sciemment ou collectées par l’opérateur de la plateforme en ligne ;
  • b) une information claire, suffisamment précise et facilement accessible sur les critères ayant conduit à l’ordonnancement du contenu qui lui est proposé et le classement de ces critères selon leur poids dans l’algorithme ;
  • c) une information claire et précise sur sa faculté, si elle existe, de procéder à des réglages lui permettant de personnaliser le référencement et la recommandation des contenus ;
  • d) une information claire et suffisamment précise sur les principaux changements opérés dans les algorithmes de référencement et de recommandation, ainsi que sur leurs effets ;
  • e) un outil de communication accessible permettant l’interaction en temps réel entre lui et l’opérateur, et offrant à l’utilisateur la possibilité d’obtenir des informations personnalisées et précises sur le fonctionnement des algorithmes.

3. La promotion des contenus issus d'entreprises et d'agences de presse et de services de communication audiovisuelle

Dans l’objectif d’assurer la promotion des contenus issus d’entreprises et d’agences de presse et de services de communication audiovisuelle, le Conseil recommande aux opérateurs de plateforme en ligne :

  • a) d’assurer l’identification des sources de contenus fiables au moyen d’indicateurs clairement visibles par les utilisateurs. Les opérateurs de plateforme en ligne sont encouragés à tenir compte des démarches de labellisation, notamment celles réalisées par les entreprises et agences de presse et les services de communication audiovisuelle ;
  • b) de déployer des moyens technologiques visant à mettre en avant les informations provenant de sources identifiées comme fiables et en particulier les contenus dits de « fact-checking »[1] dans les résultats des moteurs de recherche, les fils d’actualité et les autres canaux de diffusion opérant par classement automatisé.

4. La lutte contre les comptes propageant massivement de fausses informations

Afin de lutter contre l’accélération et l’amplification de la diffusion de fausses informations par certains acteurs, le Conseil encourage les opérateurs de plateforme en ligne à mettre en place :

  • a) des procédures appropriées afin d’assurer la détection des comptes propageant massivement de fausses informations ;
  • b) des procédures proportionnées destinées à faire obstacle à l’action de ces comptes (avertissement, suppression, mise en quarantaine, restrictions des droits de l’utilisateur ou de la portée des contenus qu’il diffuse, etc.) ;
  • c) des dispositifs de suivi et de statistiques publics relatifs à la détection et au traitement de ces comptes (nombre de comptes signalés par les utilisateurs ou détectés par l’opérateur de plateforme en ligne et, parmi eux, types de réponse qui a été apportée) ;
  • d) un espace d’information aisément accessible renseignant les utilisateurs de manière claire et précise sur les pratiques susceptibles d’entraîner une intervention de l’opérateur (création de comptes dans des volumes anormaux, partage de contenus à des fréquences anormales, utilisation de renseignements faux, volés ou trompeurs, etc.).

5. L'information des utilisateurs sur la nature, l'origine, les modalités de diffusion des contenus et l’identité des personnes versant des rémunérations en contrepartie de la promotion des contenus d’information

Au titre de la mise en place de dispositifs appropriés permettant aux utilisateurs d’être informés sur la nature, l'origine et les modalités de diffusion des contenus, le Conseil recommande aux opérateurs de plateforme en ligne de veiller à :

  • a) distinguer clairement les contenus sponsorisés des autres contenus et encourager le développement d’outils permettant à l’utilisateur d’identifier les critères qui ont conduit la plateforme à lui proposer de tels contenus ;
  • b) appeler la vigilance des utilisateurs sur les contenus qui ont fait l’objet de signalements ;
  • c) identifier de façon claire l’origine des contenus diffusés et l’afficher de manière visible ;
  • d) préciser les modalités de diffusion des contenus en indiquant dans la mesure du possible les conditions de leur publication telles que l’existence de contreparties financières, l’ampleur de la diffusion (nombre de vues, type de population ciblée, etc.), et s’ils ont été générés de manière automatisée ou non.

Par ailleurs, le Conseil recommande aux plateformes de mettre en œuvre des mesures afin d’informer les utilisateurs sur l'identité de la personne physique ou la raison sociale, le siège social et l'objet social des personnes morales leur versant des rémunérations en contrepartie de la promotion de contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général. Le Conseil d’Etat dans son avis du 19 avril 2018 s’est référé à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a estimé que relevait de l’intérêt général l’ensemble des questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité.

6. Favoriser l’éducation aux médias et à l’information

En complément des mesures précédentes, le Conseil invite également les opérateurs de plateforme en ligne visés par la loi à aider leurs utilisateurs à identifier les sources d’information fiables et celles qui ne le sont pas. Les opérateurs sont encouragés à sensibiliser les utilisateurs à l’influence de leurs propres contenus. Ils doivent contribuer à développer leur sens critique, particulièrement celui des plus jeunes.

Les opérateurs de plateforme en ligne sont encouragés à développer des outils adaptés d’analyse de la fiabilité des sources d’information, tels que des modules vidéo et des guides.

Par ailleurs, le Conseil recommande aux opérateurs de plateforme en ligne de soutenir des projets et de nouer des partenariats contribuant à l’éducation aux médias, à l’information et aux outils numériques. Les utilisateurs doivent être sensibilisés à l’utilisation maîtrisée des plateformes numériques et à la compréhension des enjeux, notamment démocratiques, qui s’y attachent. Dans cette perspective, le Conseil encourage le développement de partenariats entre les opérateurs de plateforme en ligne et les acteurs du secteur de l’éducation aux médias et à l’information, conformément à l’article 15 de la loi du 22 décembre 2018.

Le Conseil encourage les opérateurs de plateforme en ligne à soutenir les initiatives indépendantes émanant de journalistes et de chercheurs destinées à mieux comprendre et mesurer le phénomène de la désinformation, notamment en leur donnant accès à leurs données dans le respect des règles en matière de protection des données personnelles, et dans le respect de l’impartialité de ces travaux.

Les opérateurs de plateforme en ligne sont également invités à relayer les campagnes de sensibilisation qui pourraient leur être adressées par des acteurs du secteur de l’éducation aux médias et à l’information et qu’ils jugeraient pertinentes pour leurs utilisateurs.

7. Les informations à transmettre au Conseil supérieur de l’audiovisuel

a) Déclaration annuelle des opérateurs de plateforme en ligne

La déclaration doit être communiquée au Conseil au plus tard le 31 mars de l’année suivant l’année d’exercice sur laquelle elle porte.

Dans cette déclaration, chaque opérateur précise au Conseil les modalités de mise en œuvre de chacune des mesures prises en application de l’article 11 de la loi du 22 décembre 2018, telles qu’éclairées par la présente recommandation. Il rend compte des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de telle ou telle mesure proposée par la présente recommandation.

Le Conseil s’assure du suivi de l'obligation, pour les opérateurs de plateforme en ligne, de prendre les mesures prévues à l'article 11 de la loi du 22 décembre 2018 précitée. Il publie un bilan périodique de leur application et de leur effectivité. A cette fin, il peut recueillir auprès de ces opérateurs, dans les conditions fixées à l'article 19 de la loi du 30 septembre 1986, toutes les informations nécessaires à l'élaboration de ce bilan.

En application de cette même disposition, le Conseil se réserve par ailleurs la possibilité de demander toute information en cas de constat d’une manipulation ou d’une tentative de manipulation de l’information susceptible de troubler l'ordre public ou d'altérer la sincérité d'un des scrutins. Il invite par ailleurs les opérateurs de plateforme à faire preuve de la plus grande transparence à l’égard de leurs utilisateurs en cas de survenance d’un tel incident.

Dans l’exercice de cette mission, le Conseil prendra en compte la pluralité des modèles des plateformes et l’adéquation des moyens mis en œuvre sur chacune d’entre elles à l’ampleur et à l’impact du phénomène de manipulation de l’information.

b) Désignation d’un interlocuteur référent

Au titre de l’article 13 de la loi du 22 décembre 2018, chaque opérateur est tenu de désigner un représentant légal exerçant les fonctions d'interlocuteur référent sur le territoire français pour l'application des dispositions prévues au titre III de la loi.

Le Conseil invite chaque opérateur à lui faire connaître ce représentant.

Fait à Paris, le 25 avril 2019

Pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel

Le président,
R.-O. MAISTRE

[1] « Vérification des faits », en français.



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