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Décision du CSA

Al Manar : le CSA saisit le Conseil d'Etat

Publié le

Assemblée plénière du

Le président du CSA a saisi le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, d'une demande en référé tendant à ce qu'il soit ordonné à la société Eutelsat de mettre fin à la diffusion de la chaîne Al Manar.
Le texte de la saisine est reproduit ci-dessous.
 
 

Pour :
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel dont le siège est 39-43, quai André Citroën - 75015 Paris, représenté par son Président.

Objet :
Requête tendant à ce qu'il soit ordonné à la société Eutelsat, sise 70 rue Balard à Paris 15ème, de mettre fin à la diffusion du service de télévision Al Manar.
 
Par requête formée le 12 juillet 2004, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a saisi le président de la section du contentieux d'une requête en référé tendant à ce qu'il soit ordonné à la société Eutelsat de faire cesser la diffusion du service de télévision Al Manar, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

Au soutien de sa requête, le CSA a fait valoir que les programmes de cette chaîne, diffusés par la société de droit français Eutelsat, portaient atteinte aux principes mentionnés aux articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, et notamment au respect de la dignité de la personne humaine, à la sauvegarde de l'ordre public, à la protection des mineurs et à l'interdiction de toute incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de  nationalité.

Par son ordonnance de référé en date du 20 août 2004, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a considéré qu' "il résulte de l'instruction que certaines des émissions d'Al Manar portent atteinte aux principes mentionnés aux articles 1er , 3-1 ou 15 de la loi du 30 septembre 1986, auxquels renvoie l'article 42-10".

Il a été prévu par l'article 1er de cette ordonnance que : "A défaut de présentation par Al Manar avant le 1er octobre 2004 d'un dossier complet de demande de convention avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel, Eutelsat devra faire cesser le 30 novembre 2004 au plus tard la diffusion sur ses satellites des services de télévision d'Al Manar".

La société Lebanese communication group, qui édite le service Al Manar, a saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel d'un dossier complet de demande de conventionnement le 21 septembre 2004.

Pendant l'instruction de cette demande, le CSA a pu constater, à travers le visionnage des programmes d'Al Manar, que certaines émissions continuaient à présenter un contenu de nature à porter atteinte aux principes mentionnés aux articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986, en ce qu'elles étaient susceptibles d'inciter à la haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité et de comporter des menaces pour la sauvegarde de l'ordre public, notamment en attisant les tensions ou antagonismes entre communautés vivant sur le territoire national et en favorisant des attitudes racistes, antisémites ou xénophobes.
 
Ainsi, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a relevé la présence à l'écran d'émissions périodiques intitulées Flambeau sur la route de Jérusalem et Princes du Paradis, dont l'objet était de faire l'apologie d'auteurs d'attentats-suicides contre des populations civiles à raison de la religion ou de la nationalité de ces dernières. Il a aussi, sur le même sujet, observé que, lors du double attentat-suicide perpétré à Beersheba le 31 août 2004, le traitement de cet événement par la chaîne relevait d'une approche clairement apologétique de l'action violente menée, manifestant une empathie envers les auteurs de l'attentat et une antipathie à l'égard des victimes là encore à raison de leur religion ou de leur nationalité.

Le CSA a également pu constater que la chaîne diffusait, au sein de ses programmes à destination de la jeunesse, des émissions incitant à la violence pour des raisons de nationalité : tel était le cas d'un "clip" musical intitulé Jérusalem est à nous, diffusé le 10 octobre dernier, au cours duquel des enfants, accompagnés de leur maître d'école, ensevelissaient le drapeau israëlien, "clip"  ponctué par des incrustations d'images d'enfants jetant des cailloux contre des blindés (cassettes et comptes rendus de visionnage joints).

Les extraits significatifs de ces émissions ont été présentés aux représentants de la société éditrice d'Al Manar, au cours d'une réunion qui s'est tenue au CSA le 2 novembre 2004, afin d'alerter la société sur le caractère incompatible de ces images avec les exigences de la loi de 1986 (compte rendu ci-joint).

Au cours de son assemblée plénière du 16 novembre 2004, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a procédé à l'examen de la demande de conventionnement de la chaîne Al Manar et a adopté un projet de convention comportant des stipulations particulièrement détaillées et rigoureuses en matière de déontologie des programmes, stipulations fondées sur les principes du droit de l'audiovisuel consacrés par la loi du 30 septembre 1986 (pièce jointe).

La lettre de transmission du projet de convention précisait que les programmes visionnés n'étaient pas compatibles avec les stipulations conventionnelles et appelait en conséquence l'attention du président directeur général d'Al Manar sur le fait que "la signature de cette convention impliquait donc que la société renonce formellement à la diffusion de programmes de cette nature sur le signal empruntant un satellite relevant du droit français" (pièce jointe).

Cette  convention a été signée par la société Lebanese communication group le 19 novembre 2004 et est entrée en vigueur à cette date.

En signant cette convention, la société éditrice d'Al Manar s'est engagée en pleine connaissance de cause à diffuser en Europe par la voie satellitaire un programme qui concilie sa ligne éditoriale avec les principes qui gouvernent le droit français et européen de l'audiovisuel.

Malheureusement, l'observation des programmes effectuée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel postérieurement à la signature de la convention a permis de relever que la société, loin de se soumettre à ses obligations conventionnelles comme elle s'y était engagée solennellement, continuait de diffuser des programmes contraires à ces principes.

En particulier, lors de la revue de presse diffusée le 23 novembre 2004 à 16h48, un intervenant présenté comme "expert pour les affaires relatives à l'entité sioniste", a affirmé : "On a assisté, durant les dernières années, à des tentatives sionistes pour transmettre des maladies dangereuses, à travers les exportations aux pays arabes, comme le sida. Cet ennemi n'aura aucun scrupule à commettre des actes qui pourraient porter atteinte à la santé des citoyens arabes et musulmans" (cassette et compte rendu de visionnage joints).

Ces allégations, dépourvues de tout fondement, n'ont nullement été contestées par le journaliste responsable de la revue de presse et cette séquence a été rediffusée en l'état à plusieurs reprises au cours de la même journée.

De tels faits, outre qu'ils ne respectent pas les articles 2-3-1 et 2-3-3 de la convention quelques jours seulement après sa signature et après le constat, pourtant dénoncé expressément auprès de la société, de faits déjà constitutifs de manquements avant cette signature, s'avèrent manifestement contraires à la loi du 30 septembre 1986, notamment à son article 15, lequel prohibe la diffusion de tout programme contenant une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité. Le fait d'affirmer, dans la revue de presse contestée, qui plus est dans la bouche d'un "expert" supposé avoir un crédit et une autorité toute particulière compte tenu de sa qualité, que des tentatives de transmission volontaire de maladies graves telle que l'infection par le virus du sida avaient été commises par les "sionistes" à l'occasion d'exportation de produits israëliens vers les pays arabes est de nature à  inciter à la haine ou à la violence contre "cet ennemi" qui est stigmatisé, à raison de sa nationalité ou de sa religion, comme n'ayant "aucun scrupule à commettre des actes qui pourraient porter atteinte à la santé des citoyens arabes et musulmans". En outre, en suscitant, à travers de telles assertions, la défiance, l'hostilité et la peur de populations musulmanes supposées être mises en péril par le comportement prétendument dangereux des auteurs de telles "tentatives sionistes", ces faits sont susceptibles, dans l'écho même qu'ils peuvent recevoir sur le territoire national, de susciter des incompréhensions, tensions ou antagonismes entre communautés vivant en France et de favoriser des réactions ou comportements à caractère raciste ou antisémite ; ils peuvent, par suite, constituer un risque pour la sauvegarde de l'ordre public, en violation des dispositions de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 .
 
Par ailleurs, la chaîne a diffusé le 23 novembre 2004 à 18h un programme intitulé Des hommes qui ont tenu parole, qui évoque "les biographies personnelles et de combat" des combattants du Hezbollah, auteurs d'opérations-suicide et qui présente leur "martyr" comme une forme suprême, pure et sacrée de la résistance.

Au cours du générique de cette émission, centrée sur des événements datant de 1982 et  glorifiant les actions violentes contre Israël, désigné comme "l'ennemi", sont tenus les propos suivants : "Combien de force puisons-nous quand nous nous tenons debout devant la dépouille d'un martyr qui a accompli son devoir et a accompli sa responsabilité ? [...] Tantôt je vais venger tous les asservis et les déshérités parmi les enfants du Mont-Aamil et les enfants de l'Intifada en Palestine. [...] Et comme vous l'avaient recommandé mes frères, les martyrs qui m'ont précédé, maintenez-vous sur cette ligne et cette voie, la voie de la résistance qui est une voie par laquelle Dieu nous a distingués parmi tous les autres. Alors, il nous appartient de ne pas gaspiller l'occasion entre nos mains. [...] Notre bataille contre les Juifs est une bataille historique. Ils ont tué les prophètes sans droit. Ils ont tué les messagers injustement. Il faut que nous renaissions, que nous nous soulevions pour arracher Israël depuis les racines" (cassette et compte rendu de visionnage joints).

Cette émission constitue elle aussi une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité, contraire aux dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986.

L'incapacité de la société Lebanese communication group à mettre en conformité sa ligne éditoriale avec nos exigences légales, comme avec ses engagements conventionnels, est donc avérée. Il est manifeste que la société n'a pas pris la mesure de ses obligations comme de ses responsabilités, ainsi qu'en témoignent d'ailleurs les déclarations récentes faites à la presse française par M. Haidar, président-directeur général, selon lesquelles "il ne devrait pas y avoir de modifications substantielles [des] programmes" de la chaîne, "en tout cas, pas sur le fond" (pièce jointe).

Tant la brièveté du délai dans lequel un nouveau manquement d'importance a été constaté après la signature de la convention que la gravité de ce dernier démontrent le caractère inconciliable de la ligne éditoriale de la chaîne Al Manar avec les principes du droit de l'audiovisuel.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel estime en conséquence, qu'il doit être mis fin à la diffusion de cette chaîne.

La diffusion d'Al Manar réunit les éléments prévus par l'article 42-10 modifié de la loi du 30 septembre 1986, permettant de faire cesser la diffusion d'un service de télévision "relevant de la compétence de la France dont les programmes portent atteinte à l'un au moins des principes mentionnés aux articles 1er, 3-1 ou 15."

En effet, la compétence de la France a déjà été établie par l'ordonnance de référé du 20 août 2004.

Quant aux atteintes à l'un au moins des principes mentionnés aux articles 1er, 3-1 ou 15, il a été amplement démontré qu'elles se sont renouvelées, avant comme après la signature de la convention, par les faits mentionnés supra et que cette persistance réitérante rend désormais urgent qu'il y soit mis fin.
 

PAR CES MOTIFS, le Conseil supérieur de l'audiovisuel demande au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat de bien vouloir, statuant en référé, ordonner à la société Eutelsat de faire cesser la diffusion du service de télévision Al Manar, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel demande par ailleurs à être informé de la date à laquelle cette affaire sera inscrite en séance publique et sollicite la communication de tout mémoire que pourrait produire la société Eutelsat.
 
 

Consultez aussi :

- la mise en demeure adressée le même jour par le CSA à la chaîne Al Manar 

-  l'article publié par le président du CSA dans Le Monde du 1er décembre 2004

- la procédure de sanction engagée à l'encontre de la chaîne le 7 décembre 2004.

 
Le 13 décembre 2004, le Conseil d'Etat, statuant en référé, a enjoint la société Eutelsat de faire cesser, sous 48 heures, la diffusion d'Al-Manar.
Consultez l'ordonnance du Conseil d'Etat.