Par ses missions, le Conseil supérieur de l’audiovisuel se trouve placé, de fait, au cœur de ce débat sur la confiance dans notre pays, à un double titre.
D’une part, parce que la défiance touche toutes les institutions, et que le Conseil est une institution publique, très clairement perçue comme telle par nos concitoyens. D’autre part, parce que cette défiance affecte particulièrement les médias et les réseaux sociaux, à l’égard desquels le Conseil est compétent. J’ai été frappé par les chiffres du baromètre du CEVIPOF : seuls 28 % des sondés ont déclaré avoir (« très » ou « plutôt ») confiance dans les médias, et 17 % dans les réseaux sociaux. On ne trouve que les partis politiques pour des résultats encore moins favorables.
Il est vrai que les grandes crises qui ont traversé notre pays ces dernières années – le mouvement des « Gilets jaunes » ou la crise sanitaire – se sont traduites par des mouvements de défiance à l’égard des institutions, des médias et des réseaux sociaux. C’est dans ce contexte de défiance prononcée et prolongée qu’évolue une instance comme le CSA, instance par ailleurs en transformation puisqu’elle devrait devenir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l’ARCOM, à la faveur d’un projet de loi présenté aujourd’hui même en conseil des ministres.
A cet égard, il me semble important de formuler deux observations.
La première est que le Conseil, par son statut d’autorité publique indépendante (API), se trouve dans la position particulière d’une administration qui ne reçoit pas d’instructions du Gouvernement et est appelée à rendre compte de son activité directement au Parlement. Cette catégorie singulière des AAI/API n’est d’ailleurs pas « testée » dans le Baromètre du CEVIPOF. Il y aurait sans doute matière à réfléchir aux conséquences de ce positionnement particulier sur la confiance des citoyens.
L’autre observation, c’est qu’en observant la dynamique de la confiance dans les médias, notamment dans le cadre du Baromètre publié par La Croix depuis 1987, on constate des résultats plutôt contre-intuitifs. Ces dernières années, peut-être du fait d’un intérêt accru pour l’information, la crédibilité des médias audiovisuels (radio et télévision) est plutôt à la hausse. Le discours pessimiste et résigné sur la confiance dans les médias, très présent aujourd’hui, doit donc être relativisé, car il y a des signaux d’espoir.
Ceci étant dit, il reste cette constante d’une défiance incontestable, défiance mesurée par le CEVIPOF, qui doit nous interroger. La réponse à cette défiance, chacun s’en doute, excède très largement les compétences du Conseil. Pour ce qui concerne les seuls champs d’intervention du Conseil (médias audiovisuels et plateformes de contenus), cette réponse passe aussi par l’action des opérateurs eux-mêmes. Certaines initiatives dirigées vers les publics doivent, de ce point de vue, être saluées : développement de la médiation, portes ouvertes, consultations citoyennes comme celles qu’avaient organisé Radio France et France Télévisions en 2019. De manière générale, l’éducation aux médias et à l’information est un chantier absolument déterminant, dans lequel chacun à son rôle à jouer : opérateurs, Education nationale, mais aussi le régulateur qu’est le Conseil. Nous avons d’ailleurs beaucoup intensifié nos actions en la matière, dans le cadre d’une convention avec le ministère, pour former de plus en plus d’enseignants à l’éducation aux médias dans les académies.
Surtout, je suis convaincu que les missions mêmes du Conseil contribuent à la confiance, que ce soit à l’égard des médias audiovisuels (notre domaine d’intervention historique, depuis 30 ans), ou à l’égard des plateformes de contenus et des réseaux sociaux (sur lesquels nos compétences s’accroissent depuis plusieurs années).
Je distinguerai ici ces deux volets.
L’une des vocations principales de la régulation d’un secteur économique réside dans la recherche de l’équilibre économique et concurrentiel de ce secteur. En matière de médias audiovisuels, cela revient à préserver le pluralisme de notre paysage audiovisuel, car la régulation du secteur est née, dans notre pays, de la fin du monopole public dans les années 1980.
Ce pluralisme de notre paysage est essentiel à la confiance dans les médias audiovisuels. L’existence d’une diversité de médias, disposant chacun d’une ligne éditoriale propre, de médias à la fois nationaux et de proximité, de médias qui s’adressent aux différents publics, de médias économiquement solides à même de remplir leurs missions, notamment d’information par des rédactions professionnelles, est une condition de la confiance. De ce point de vue, un fait tout à fait notable est que le média dans lequel les publics ont le plus confiance (devant la presse écrite) est aussi celui dans lequel le pluralisme est le plus fort : le média radio. Selon le dernier Baromètre de La Croix, 52 % des sondés déclarent que « les choses se sont passées comme la radio les raconte » : c’est dix points de plus que pour la télévision. Il faut sans doute y voir un lien avec le fait que plus de mille stations de radio existent aujourd’hui en métropole et dans les Outre-mer.
Par ailleurs, pour garantir la confiance dans les médias audiovisuels, la régulation économique est très loin d’être le seul outil. D’autres missions du Conseil peuvent aussi contribuer à cette confiance. J’évoquais à l’instant nos actions en matière d’éducation aux médias, on pourrait aussi penser à nos missions en matière de pluralisme politique, mais aussi à nos missions sociétales. La confiance dans les médias audiovisuels implique, en effet, qu’ils tiennent compte des aspirations de notre société en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, en faveur de la représentation de toute la diversité de celles et ceux qui la composent. Des aspirations pour que ne soient pas « invisibilisées », par ailleurs, les périphéries, les personnes en situation de handicap ou en situation de précarité. La publication de nos baromètres ainsi que la mobilisation des opérateurs ( l’opération « Sport Féminin Toujours », engagements en matière de diversité, etc.) se placent dans cet objectif. Seuls des médias audiovisuels à l’image de la société d’aujourd’hui peuvent susciter la confiance de l’ensemble de leurs publics.
Enfin, je ne serais pas complet si je ne revenais pas sur nos missions en matière de déontologie des programmes. Sans doute notre mission la plus connue, celle qui donne lieu à beaucoup de malentendus aussi. Lorsque certaines limites posées par la loi, les règlements et les conventions sont franchies (incitations à la haine, à la violence ou à la discrimination, atteinte à la dignité de la personne humaine, etc.), nous pouvons être amenés à sanctionner les opérateurs. C’est une faculté dont nous faisons usage régulièrement, mais assez rarement au regard du nombre des opérateurs autorisés. Car la loi de 1986, que nous mettons en œuvre, est d’abord une loi de liberté. C’est la liberté de communication et la liberté éditoriale qui sont premières. Si le Conseil intervient en cas de manquement caractérisé aux obligations, il n’est pas un « tribunal de l’opinion », comme j’ai eu l’occasion de le dire, et le débat d’idées, même sous des formes polémiques, a toute sa place. En outre, les prérogatives du Conseil ne peuvent remplacer cette exigence déontologique qui est inhérente au travail des rédactions, et elles ne se substituent aucunement au rôle du juge pénal, qui est seul compétent pour connaître de la responsabilité des auteurs des propos tenus, même si cette voie reste peu utilisée en matière audiovisuelle.
Quoi qu’il en soit, ma conviction est qu’au-delà de la garantie de la déontologie des programmes, c’est par la combinaison de ces différentes missions que le Conseil contribue à la confiance dans les médias audiovisuels.
Aujourd’hui, cependant, on ne peut plus ignorer les nouveaux modes d’accès à l’information que sont les plateformes et les réseaux sociaux. Même s’ils ne sont pas, à proprement parler, des « médias », il est manifeste qu’ils occupent un rôle croissant, sinon dominant chez les jeunes générations. Or il y a beaucoup à faire pour contribuer à la confiance dans les contenus que ces plateformes véhiculent.
Les symptômes de ce « désordre informationnel » sont connus : poids des discours complotistes, manipulation de l’information, viralité des propos haineux, etc. Selon le Baromètre de La Croix, que j’évoquais tout à l’heure, seuls 19 % des sondés ont confiance dans les informations publiées par leurs contacts sur les réseaux sociaux.
De ce point de vue, les opinions publiques ont profondément évolué et, du fait de la défiance que les grandes plateformes de contenus ont pu inspirer, s’impose l’idée que ces opérateurs ont, eux aussi, un certain nombre de responsabilités.
En France, plusieurs évolutions ont été enregistrées ces dernières années.
En matière de lutte contre la manipulation de l’information, la loi de 2018 impose aux plateformes de mettre en place des dispositifs de signalement efficaces et de déployer des mesures complémentaires, par exemple en termes de mise en avant de contenus fiables. Le Conseil est chargé de dresser un bilan annuel, ce qu’il a fait pour la première fois en 2020.
En matière de lutte contre la haine en ligne, un Observatoire de la haine en ligne a été constitué en 2020 auprès du Conseil, en associant des chercheurs, des associations et des opérateurs. Le projet de loi sur les principes républicains prévoit aussi de donner de nouvelles missions au Conseil. Cédric O a eu l’occasion de l’évoquer devant vous. Surtout, l’Union européenne s’est saisi de cet enjeu à travers le projet de Digital Services Act, qui vise à mettre en place un cadre de régulation adapté à ces opérateurs.
Une nouvelle forme de régulation se dessine. Il ne s’agit pas de « réguler internet », ni de dupliquer ce que fait le Conseil à l’égard des télévisions et des radios. C’est un nouveau modèle, qui ne soit ni le laisser-faire, ni le contrôle étatique des contenus.
Ce tiers modèle repose sur la responsabilisation des plateformes de contenus. Ces acteurs sont soumis à des obligations de moyens, d’une part, et des obligations de transparence, d’autre part. Parce que les dernières années nous ont montré les limites de l’auto-régulation, ces mesures sont appelées à être placées sous le contrôle d’un régulateur indépendant. La vocation de ce régulateur est donc de superviser les dispositifs et processus mis en place par les acteurs eux-mêmes, d’apprécier le respect des obligations de moyens et de résultats. La régulation se fait plus européenne, comme le montrent les débats sur le DSA. Elle n’exclue pas, lorsque nécessaire, une approche plus coercitive. De la sorte, la mission de ce régulateur complète celle du juge, qui demeure compétent pour apprécier la licéité des contenus.
Pour le Conseil, et j’en terminerai par là, ce nouveau modèle de régulation qui se déploie peu à peu est évidemment source d’importants défis. Toutefois, je suis convaincu que par ses objectifs, par ses modalités aussi (la transparence, l’objectivation des phénomènes, l’obligation de rendre des comptes, la publication de données), cette nouvelle régulation peut contribuer à une forme de confiance.
Merci de votre attention.